Pourquoi choisir cette oeuvre?

Un cri de liberté signé par un adolescent du XVI° siècle

Court, percutant, radical, le Discours de la servitude volontaire est une œuvre fondatrice pour penser les notions de pouvoir, de liberté et de consentement. Rédigé entre 18 et 25 ans par Étienne de La Boétie, ce texte intemporel interroge les mécanismes de la domination et de l’obéissance dans toute société organisée. Son étonnante actualité, son lien direct avec les préoccupations adolescentes, et son potentiel philosophique et politique en font une œuvre incontournable dans le cadres de la littérature d’idées.

Dans un monde où la question de l’obéissance et de l’influence est plus actuelle que jamais – qu’il s’agisse des réseaux sociaux, des autorités politiques ou des normes sociales – le Discours nous offre une matière puissante pour réfléchir à notre propre rapport au pouvoir. Il ouvre la voie à des débats essentiels sur la liberté de penser, les mécanismes d’adhésion, et l’intériorisation de la domination, en résonance directe avec nos préoccupations de jeunes ou moins jeunes citoyens.

Pourquoi allez-vous aimer cette oeuvre?

La date de rédaction du Discours de la servitude volontaire est incertaine : Montaigne la situe vers 1548 mais les mentions de la Franciade à l’intérieur du texte laissent supposer qu’elle date d’au moins 1554. Dans tous les cas, il est établi que c’est un texte de jeunesse, que La Boétie a écrit entre ses 18 et ses 25 ans.

C’est une des raisons pour lesquelles il est si fructueux de s’y pencher : le texte est autant un plaidoyer humaniste pour la liberté que l’exhortation passionnée d’un jeune périgourdin à se dresser contre la tyrannie. Les nombreuses éditions du texte depuis le XVI° siècle attestent de sa plasticité et de l’attrait qu’il suscite à toutes les époques : l’universalité du propos (l’indignation face à la domination) ainsi que l’intemporalité des références (quasi exclusivement des références à l’Antiquité et à la mythologie) en font un texte qu’on peut aisément s’approprier en fonction des contextes historiques et politiques.

La nature du texte est, d’une certaine manière, hybride : le Discours de la servitude volontaire relève, au moins partiellement, du genre de la declamatio (exercice rhétorique qui illustre l’éloquence de l’auteur) ; il consiste également en une réflexion à la fois philosophique sur la nature humaine, ainsi que politique sur l’organisation des sociétés et leur rapport au pouvoir. Il est en effet question de la nature humaine lorsque La Boétie s’interroge sur le poids de la coutume dans la servitude : il en va alors d’une réflexion anthropologique, puisqu’il s’agit pour lui de déterminer si la servitude est naturelle ou non – c’est le débat de l’inné contre l’acquis. Pour l’auteur, nul doute que seule la liberté est naturelle; la servitude étant, en quelque sorte, une très mauvaise habitude.

Bien sûr, le Discours de la servitude volontaire est aussi un texte politique: non seulement parce qu’il s’érige contre la domination, mais aussi parce qu’il cherche à en décrire les ressorts, sociaux et humains. C’est dans cette perspective qu’il faut comprendre la chaîne des «tyranneaux» évoquée à la fin du texte. La Boétie ne se contente pas de dénoncer la domination d’un seul (ou de quelques-uns) sur tous, il cherche a comprendre comment cette domination fonctionne. Et c’est précisement parce que les «tyranneaux» se font le relai de la tyrannie qu’ils lui permettent d’exister : ainsi, la fin du texte appelle chacun et chacune d’entre nous à interroger la place que nous occupons dans cette interminable chaîne de la domination.

Toutefois, la dimension philosophique et politique du Discours n’ôte rien à ses qualités littéraires : La Boétie était féru de poésies grecques et latines (il a d’ailleurs traduit des poèmes d’Homère), et la construction de son texte en témoigne. Les rythmes, le lexique, la syntaxe: des passages entiers du Discours chantent comme s’ils avaient été composés en sonnet plutôt qu’en prose. La lecture attentive du texte révèle ces mélodies, qui ne manquent pas de mettre en valeur le coeur du propos de La Boétie.

Les pièges courants et comment les éviter


Ne pas confondre radicalité et révolution!

Dans le cas du Discours de la servitude volontaire, le principal piège serait de lire l’œuvre comme un pamphlet révolutionnaire annonçant les grands bouleversements à venir, et de présenter La Boétie comme un agitateur ou un rebelle à l’autorité. Cette lecture projetée fait fi de son contexte: l’auteur était un humaniste du XVie siècle, fidèle à la monarchie, proche de Montaigne, et profondément attaché à l’ordre établi.

Réduire le Discours à une dénonciation directe de la tyrannie, sans prendre en compte sa dimension anthropologique, c’est passer à côté de l’essentiel.

Le texte propose en réalité une réflexion complexe sur les mécanismes de la domination et de l’adhésion volontaire au pouvoir, qui touche à la psychologie collective, à l’éducation, aux habitudes culturelles. Il est donc impératif de recontextualiser le texte historiquement, notamment en Lien avec les guerres de Religion, la pensée politique de la Renaissance et les références antiques. 

Une lecture hors contexte pourrait entraîner des interprétations anachroniques, qui transformerait le Discours en appel à l’insoumission généralisée, ce qu’il n’est pas.

Enfin, il ne faut pas perdre de vue que ce texte, bien qu’il mobilise une rhétorique forte, ne constitue pas un programme politique, mais un exercice de pensée. Il s’agit moins d’un appel à agir que d’une invitation à comprendre pourquoi les peuples se soumettent si facilement — et ce faisant, à interroger notre propre rapport à l’autorité.

Présentation générale par Magali VAN KELST
Des citations inspirantes par Magali VAN KELST