Genèse de l’oeuvre

La première question qui se pose est la date de rédaction de cette œuvre : 1546 ou 1548 ? Montaigne a indiqué que son ami avait alors dix-huit ans, mais dans l’exemplaire de Bordeaux, dernière édition des Essais, il raye cet âge et le remplace par « seize ans ».

Dans les deux cas, la jeunesse de l’auteur (probablement entre 18 et 23 ans) est, certes, à souligner car Etienne de La Boétie fait preuve dans ce Discours d’une culture, d’une distance critique et d’une maturité politique impressionnantes pour son âge!

Mais la distinction est importante pour savoir ce qui a pu inspirer La Boétie. Une source de l’époque affirme que La Boétie a écrit le Discours suite à la répression royale de la révolte paysanne de 1548 contre la gabelle (taxe sur le sel, très impopulaire), sous le règne d’Henri II. Cette démonstration de force d’un pouvoir absolutiste a sûrement contribué à faire de La Boétie un farouche adversaire de la tyrannie. Pour autant, il n’y a aucune allusion à des faits contemporains dans le Discours : tous les exemples sont, en fait, empruntés aux textes anciens que peut avoir lus un jeune étudiant, érudit et passionné d’Antiquité. Notons que si l’auteur n’avait bien que seize ans lors de la rédaction du Discours, il devient alors impossible que le Discours soit lié à cet événement, qui a éclaté deux ans plus tard, en 1548.

Le Discours de la servitude volontaire est resté à l’état de manuscrit du vivant de son auteur, qui ne l’a jamais publié.

Réception et postérité

L’histoire de la première diffusion du Discours de la servitude volontaire n’est pas évidente à retracer et mobilise, encore aujourd’hui, les universitaires spécialistes de la période – qui découvrent régulièrement des éléments permettant de mieux appréhender la question.

Une première circulation clandestine

Tout d’abord, il faut bien noter que le Discours de la servitude volontaire circule sous forme manuscrite dans les milieux parlementaires et que sa date de composition demeure incertaine. Malgré ce statut presque clandestin, différents témoignages, et en particulier celui de Montaigne, atteste de son petit succès auprès de ce public restreint visiblement réceptif au propos du Discours.

Le rôle joué par Montaigne

Aucune des œuvres de La Boétie n’a été publiée de son vivant, même si quelques feuillets circulaient, contribuant à se renommée auprès des lettrés et expliquant aussi l’intérêt de Montaigne pour ce jeune auteur.

Après le décès de La Boétie, Montaigne a eu pour projet d’offrir au Discours une publication posthume en le faisant paraître dans le chapitre « De l’amitié » de ses Essais. L’œuvre emblématique du si cher ami de La Boétie a en effet été conçue par son auteur comme un tombeau littéraire pour son compagnon défunt. Le Discours de la servitude volontaire devait y figurer, placé au centre de l’ouvrage de Montaigne, comme un ultime hommage à l’ami parti trop tôt. Néanmoins, Montaigne renonce à ce projet au milieu de la rédaction des Essais : le Discours de la servitude volontaire n’y figurera jamais, bien que l’ombre de La Boétie continue de planer sur l’œuvre de Montaigne, comme en atteste le célèbre chapitre « De l’amitié».

Ce sont vraisemblablement des raisons politiques qui poussent Montaigne à abandonner son projet. En effet, deux évènements ont bouleversé à la fois la trajectoire éditoriale du Discours de la servitude volontaire et l’histoire du royaume français, chacun à leur échelle. En 1572 a lieu la terrible Saint-Barthélemy, massacre d’une intensité alors inégalée des protestants français. En 1574, paraît un pamphlet protestant, Le Réveille-matin des Français qui reproduit, sans titre ni nom d’auteur, des fragments du Discours de la servitude volontaire, puis en 1576, le Discours sous-titrée Le Contre-un, est intégralement publié dans un ouvrage plus vaste, Les Mémoires de L’Estat de France, alors anonyme, mais rapidement attribué, lors de sa réédition complétée en 1578, à Simon Goulart, un pasteur français exilé à Genève. L’ouvrage fut d’ailleurs condamné à être brûlé en place publique en 1579. Montaigne reconsidère alors son projet d’édition du texte de La Boétie par crainte de passer pour un calviniste – et il ne manquera pas d’accuser les protestants d’avoir instrumentalisé le Discours de son ami. Il faudrait certainement interroger le bien-fondé de telles accusations puisque force est de constater que le Discours de la servitude volontaire se prête tout particulièrement à la récupération politique par les contestataires de toutes les périodes. Peut-être est-ce là le signe de la volonté de son auteur: avoir conçu un outil destiné à être saisi pour mettre en cause le pouvoir, quel qu’il soit.

Une trajectoire double : manuscrite et imprimée

Outre ces considérations générales quant au statut du texte, on peut établir que le Discours de la servitude volontaire a connu deux trajectoires parallèles aux XVI° et XVII° siècles : l’une manuscrite, l’autre imprimée. En effet, le texte paraît sous forme imprimée d’abord en 1574, puis, rapidement après, dans deux imprimés datant tous deux de 1577 : la Vive description de la tyrannie, dans laquelle le texte de La Boétie est publié seul et sans nom d’auteur, et les Mémoires de l’État de France sous Charles IX, ouvrage de l’humaniste protestant Simon Goulart. Avec ces trois publications, il est indéniable qu’on doit la première traduction imprimée du Discours de la servitude volontaire aux auteurs et imprimeurs protestants. Pour autant, la traduction manuscrite du texte se rattache plutôt aux milieux parlementaires, qui l’ont fait vivre et circuler à travers les âges. On en trouve trace dans de nombreuses bibliothèques du XVII° siècle.

Ce trajet, sinueux, des éditions du Discours de la servitude volontaire finit par permettre au texte de ressurgir au grand jour à une autre époque, elle aussi particulièrement tumultueuse d’un point de vue politique. Il est d’abord redécouvert par les philosophes des Lumières. Le texte est à nouveau publié pendant la Révolution, en 1789 et 1790. Il connaît ensuite un regain d’intérêt au XIX° siècle, notamment grâce à la transcription de Charles Teste en 1836. Depuis lors, les éditions ainsi que les traductions en langues étrangères se multiplient, signe que le Discours de la servitude volontaire n’a rien perdu de sa vigueur ni de son actualité.

Conclusion : Un texte fondateur

La radicalité de ce Discours, bref et dense, en a fait un texte fondateur dans la pensée politique occidentale. Initiant un questionnement très subversif sur l’aliénation, souvent perçu comm un appel à la désobéissance civile, il a été repris, depuis sa mise en circulation jusqu’à aujourd’hui, par de nombreux mouvements contestataires, parfois au prix de certains malentendus.