Une illustre famille périgourdine
Étienne de La Boétie (1530-1563) est issu d’une famille de marchands périgourdins dont on peut retracer l’ascension sociale depuis le XV° siècle au moins : les Boyt (dont le nom a progressivement évolué jusqu’à la forme à particule qu’on lui connaît aujourd’hui), ont su à la fois accumuler les propriétés terriennes en même temps qu’ils ont mené une politique matrimoniale avantageuse en se liant avec la noblesse. C’est ainsi qu’Antoine de La Boytie, le père d’Étienne de La Boétie, épouse Philippe (Philippe est alors un prénom féminin) de Calvimont – dont la famille est rattachée à la noblesse de robe et à la magistrature. De cette union naissent trois enfants : Étienne et ses deux sœurs, Anne et Clémence. Étienne naît en 1530 à Sarlat, dans la maison familiale acquise par son père – dans l’actuel centre historique de la ville, à deux pas de l’évêché. Philippe de Calvimont, la mère d’Étienne, meurt vraisemblablement dans les années 1535, et Antoine, son père, dans les années 1540. Orphelins, les trois enfants La Boétie sont placés sous la tutelle de leur oncle paternel, parrain de l’auteur dont il partage le prénom et le patronyme, Etienne de La Boétie.

Une formation HUMANISTE
Cet oncle homonyme, un ecclésiastique passionné de droit et de littérature gréco-latine, prend très au sérieux l’éducation du jeune Étienne, qui manifeste très tôt des dispositions pour l’étude. L’enfant est élevé dans le culte de l’Antiquité et le goût qu’il nourrit très tôt pour les textes anciens s’inscrit dans le développement du mouvement humaniste, particulièrement vivace à Sarlat. Il reconnaitra d’ailleurs tout ce qu’il doit à son oncle dans ses dernières paroles :
« tout ce que un très sage, très bon et très libéral père, pouvait faire pour son fils, tout cela avez-vous fait pour moi, soit pour le soin qu’il a fallu à m’instruire aux bonnes lettres, soit lorsqu’il vous a plu me pousser aux états : de sorte que tout le cours de ma vie a été plein de grands et recommandables offices d’amitiés vôtres envers moi : somme, quoi que j’aie, je le tiens de vous, je l’avoue de vous, je vous en suis redevable, vous êtes mon vrai père ». (Lettre de Montaigne à son père, 1563)
Etienne de La Boétie bénéficie d’une éducation humaniste au collège de Guyenne, à Bordeaux, alors haut-lieu de la Renaissance. Il acquiert une parfaite connaissance des philosophes et écrivains de l’antiquité gréco-romaine, dont témoigne son œuvre. Parallèlement, il compose des sonnets et traduit Plutarque, Virgile et l’Arioste. Le jeune homme poursuit sa formation à l’université d’Orléans, réputée pour la qualité de son enseignement en droit, une discipline en plein essor à une époque où l’Etat se modernise et se dote d’un appareil juridique plus uniforme.
Au cours de ses années d’étude, Étienne de La Boétie, indigné par la révolte des Pitauds en 1548 (soulèvement paysan en réaction à l’impôt sur le sel), commence à écrire son Discours de la servitude volontaire. En 1553, il obtient brillamment sa licence en droit civil. C’est également en 1553 que Guillaume de Lur-Longa cède sa charge de conseiller au parlement de Bordeaux à La Boétie; les liens qui unissent alors les deux hommes ne nous sont pas connus dans le détail, mais ils étaient suffisamment étroits pour que La Boétie dédie le Discours de la Servitude volontaire à ce chanoine et conseiller au parlement. En effet, non seulement le Discours s’adresse explicitement à Lur-Longa à deux reprises, mais en outre La Boétie y confesse avoir fait part de ses compositions en vers à son prédécesseur, qui les aurait accueillies avec bienveillance. Il est très probable que ce soit Lur-Longa qui ait fait lire le Discours de la servitude volontaire à Montaigne avant même que celui-ci ne rencontre La Boétie au parlement de Bordeaux, posant alors la première pierre de l’une des plus célèbres amitiés de l’histoire de la littérature.

Le roi de France, Henri II, l’autorise exceptionnellement à commencer sa carrière de magistrat à l’âge de 23 ans, deux ans avant l’âge légal. C’est grâce à l’appui de son oncle, qui y est influent, qu’il obtient cette dispense spéciale qui lui permet d’être nommé conseiller au parlement de Bordeaux : une cour de justice régionale dont la juridiction s’étend de Bayonne à Limoges. La mission de cette cour est d’enregistrer les ordonnances du roi et de faire respecter la justice dans l’ensemble de la province.
Une vie au service de la justice et de la tolérance

Seulement dix années s’écoulent entre l’entrée de La Boétie au parlement et sa mort précoce, en 1563. Son mariage avec la fille du président de ce parlement lui assure l’intégration dans ce milieu parlementaire, ainsi que la richesse, et il se plonge alors dans sa tâche de conseiller. La mort d’Henri II plonge la France dans une période d’instabilité, alors que la régente Catherine de Médicis et le chancelier Michel de l’Hospital cherchent à éviter la guerre civile face à l’essor des protestants. Le jeune magistrat est alors chargé de missions diplomatiques : dans ces années de profonds bouleversements politiques et religieux où les tensions entre catholiques et protestants sont de plus en plus fortes, il est envoyé à Paris en 1560 afin de rencontrer la régente et son chancelier, tous deux désireux de mener une politique de tolérance à l’égard des protestants. Il s’engage alors pour la paix en soutenant les initiatives de Michel de l’Hospital et devient représentant du parlement de Bordeaux auprès du roi. De retour à Bordeaux, La Boétie s’efforce de faire appliquer ces mesures et de mettre un terme aux persécutions dont sont victimes les réformés.
Le jeune humaniste prend toute la mesure des conséquences négatives des tensions religieuses sur un plan politique et social. C’est dans ce cadre qu’il rédige un Mémoire sur l’Edit de janvier 1562, constitué de l’analyse du décret de tolérance signé par le jeune roi Charles IX. Cet édit est destiné à enrayer les violences entre catholiques et protestants, en laissant à ces derniers le droit de célébrer le culte à l’extérieur des villes fortifiées. Le commentaire qu’en propose La Boétie porte la marque de son engagement en faveur d’une politique d’apaisement et de conciliation, qui n’a cependant pu aboutir. L’édit est rejeté par les huguenots, ce qui mème au massacre de Wassy, le 1er mars 1562.
Une profonde amitié avec Montaigne
C’est en 1557, au parlement de Bordeaux que La Boétie fait la rencontre de Michel de Montaigne qui vient d’y être affecté et a déjà eu l’occasion de lire quelques extraits du Discours. Les deux hommes, également humanistes, passionnés d’histoire, de philosophie et de sciences juridiques, se lient d’une amitié fervente, qui dure jusqu’à la mort de La Boétie. Dans les Essais, Montaigne rend hommage à celui qu’il considère comme son alter ego, dont la disparition précoce a laissé dans sa vie un vide immense. Tout en réfléchissant au caractère philosophique de l’amitié, Montaigne souligne le caractère exceptionnel du lien qui l’unissait à La Boétie.
Si on me presse de dire pourquoi je l’aimais, je sens que cela ne se peut exprimer qu’en répondant: parce que c’était lui; parce que c’était moi.


Le testament de La Boétie présente, quant à lui, Montaigne comme « son intime frère et inviolable ami ». Plus concrètement, ce testament fait de Montaigne l’héritier de la bibliothèque et des manuscrits du jeune auteur. Montaigne publie avec le plus grand soin ces textes, en laissant cependant de côté le Discours de la servitude volontaire, le contexte des guerres de religion n’étant pas favorable à la publication d’une oeuvre au contenu aussi sensible.
Tous deux vivent douloureusement les exactions qui se multiplient dans les deux camps : troubles, incendies, pillages, meurtres, brutalités, provoqués dès 1560 par l’aggravation des tensions entre catholiques et protestants. Ainsi, en septembre 1560, La Boétie accompagne le lieutenant du roi, Charles de Burie, pour rétablir le calme dans la région d’Agen mais ils échouent à rétablir réellement la paix entre les deux partis. Cet échec pèse au jeune homme qui confie à son ami Montaigne son désir de s’exiler dans le nouveau monde américain.


Projet non exécuté, car Étienne de La Boétie, amené à se déplacer fréquemment dans le royaume pour satisfaire à ses missions politiques auprès de Charles IX, traverse des foyers de famine et de peste dans le Périgord. Le 8 août 1563, il tombe brusquement malade et, pris de violents symptômes, décide de regagner ses terres du Médoc pour se reposer. Mais son état s’aggrave et il est contraint de s’arrêter chez Richard de Lestonnac, son collègue au parlement et beau-frère de Montaigne. Il y meurt religieusement le 18 août, après des jours d’agonie, à l’âge de 32 ans, entouré de ses proches et se son ami.
« Ayant mis ordre à mes biens, encore me faut-il penser à ma conscience. Je suis chrétien, je suis catholique : tel ai vécu, tel suis-je délibéré de clore ma vie. Qu’on me fasse venir un prêtre ; car je ne veux faillir à ce dernier devoir d’un chrétien. »