EAF texte 3 : Discours de la servitude volontaire par Magali VAN KELST

Introduction

Introduction EAF 3 par Magali VAN KELST

Analyse linéaire détaillée

Analyse linéaire détaillée EAF texte 4 par Magali VAN KELST
Podcast pour des révisions facilitées

Travail préparatoire mené en classe

Guide analyse EAF 3 par Magali VAN KELST

Critères

Copie de Guide analyse EAF 3 par Magali VAN KELST

Eléments pour correction

NTRODUCTION – Éléments de correction

Présentation de l’auteur et de l’œuvre

Étienne de La Boétie (1530-1563) est un magistrat et écrivain humaniste français du XVIe siècle. Ami intime de Montaigne, il rédige vers 1549, à l’âge de 18 ans, le Discours de la servitude volontaire (ou Contr’un), essai politique audacieux qui interroge les mécanismes du consentement au pouvoir tyrannique.

Contexte historique : Le XVIe siècle est marqué par la consolidation du pouvoir monarchique absolu, les guerres de religion, et l’essor de l’humanisme renaissant qui encourage l’esprit critique et la réflexion sur l’autorité politique.

Situation du passage

Cet extrait constitue la péroraison (conclusion) du Discours. Après avoir analysé les mécanismes de la servitude volontaire, La Boétie consacre cette dernière partie au sort des complices du tyran (les « tyranneaux »), dressant un tableau à la fois pathétique et polémique de leur condition.

Problématique suggérée

Comment La Boétie, dans cette péroraison, utilise-t-il les registres pathétique et polémique pour dissuader son lecteur de servir la tyrannie ?

Annonce du plan

Nous analyserons d’abord comment La Boétie dépeint le piège psychologique dans lequel sont enfermés les complices du tyran (mouvement 1), avant d’étudier le châtiment symbolique et la malédiction éternelle qui les attendent (mouvement 2).


MOUVEMENT 1 : Le piège mortel de la connivence avec le tyran

« Quelle peine, quel martyre […] n’oser être triste. »


Question 1 : L’ouverture pathétique

Quels procédés La Boétie utilise-t-il dans la première phrase pour créer un effet dramatique ?

Correction :

La première phrase accumule plusieurs procédés expressifs qui créent un puissant effet dramatique :

  1. Question rhétorique : « Quelle peine, quel martyre est-ce vraiment ? »
    • Ne demande pas de réponse mais exprime l’intensité de la souffrance
    • Implique le lecteur dans une réflexion pathétique
  2. Exclamation implicite : le ton est pathétique, marqué par l’émotion
  3. Apostrophe religieuse : « ô Dieu »
    • Invocation divine qui donne une dimension sacrée au malheur des courtisans
    • Crée un effet de solennité tragique
    • Effet d’ironie sous-jacente : ce « martyre » n’a rien de noble
  4. Parallélisme et gradation : « Quelle peine, quel martyre »
    • Deux termes synonymiques qui amplifient la souffrance
    • Gradation ascendante : de la « peine » (souffrance physique et morale) au « martyre » (souffrance extrême, supplice)
  5. Champ lexical de la souffrance : « peine », « martyre »
    • Vocabulaire emprunté au registre religieux et tragique
    • Évoque la torture et le supplice

Effet produit : La Boétie feint la compassion pour ces hommes tout en créant une ironie tragique : leur souffrance est volontaire, ils se sont eux-mêmes placés dans cette situation. Le lecteur est invité à la fois à plaindre et à mépriser ces complices.


Quel effet produit l’apostrophe « ô Dieu » ? Quelle tonalité cela donne-t-il au passage ?

Correction :

L’apostrophe « ô Dieu » produit plusieurs effets :

  1. Solennité tragique : élève le propos au niveau du sacré, comme dans une tragédie classique
  2. Pathétique renforcé : l’invocation divine amplifie l’émotion et la compassion
  3. Ironie sous-jacente : ce qui devrait être un martyre noble (sacrifice religieux) n’est qu’une souffrance auto-infligée par ambition
  4. Dimension morale : situe la question sur le plan éthique et spirituel, suggérant que cette servitude est contraire aux lois divines

Tonalité : Le passage oscille entre le pathétique (compassion pour la souffrance) et l’ironique (critique morale de ces hommes qui ont choisi leur sort). L’apostrophe religieuse renforce ce double registre.


Question 2 : Le rythme et la répétition

Relevez les expressions qui expriment une durée ou une fréquence. Que traduisent-elles sur la condition des courtisans ?

Correction :

Expressions de durée et fréquence :

  1. « nuit et jour » (ligne 1)
    • Hyperbole temporelle
    • Totalité du temps, sans repos ni répit
    • Aliénation complète : le courtisan n’a plus de vie personnelle
  2. « toujours » (répété 3 fois)
    • « avoir toujours l’œil aux aguets » (ligne 2-3)
    • « ayant toujours le visage riant » (ligne 6)
    • Permanence de la contrainte et de la dissimulation
  3. « Être occupé » (ligne 1)
    • Participe présent qui suggère une action continue, ininterrompue
    • Notion d’absorption totale

Ce qu’elles traduisent :

  • Épuisement moral et physique : aucun moment de repos, vigilance permanente
  • Aliénation totale : le courtisan n’existe plus pour lui-même, il ne vit que pour le tyran
  • Perte d’identité : il n’y a plus de distinction entre vie publique et vie privée
  • Emprisonnement psychologique : cette durée infinie fait de leur vie une prison temporelle

Observez la répétition de « pour » (lignes 3-5). Quel effet de sens produit cette anaphore ?

Correction :

L’anaphore de la préposition « pour » structure trois propositions infinitives :

  • « pour savoir d’où viendra le coup »
  • « pour repérer les pièges »
  • « pour comprendre l’expression de ses compagnons »
  • « pour observer qui le trahit »

Effets produits :

  1. Rythme mécanique et oppressant
    • La répétition crée un effet d’accumulation
    • Évoque une liste de tâches interminables
    • Traduit l’obsession et la vigilance maladive
  2. Multiplication des dangers
    • Chaque « pour » introduit une nouvelle menace
    • Suggère que le danger vient de partout
    • Univers de paranoïa généralisée
  3. Finalité sans fin
    • Le courtisan n’agit plus librement : toutes ses actions ont pour unique but de survivre
    • Perte de tout autre objectif dans la vie
    • Existence réduite à une fonction de surveillance
  4. Rythme ternaire puis quaternaire
    • Crée une progression qui ne semble jamais pouvoir s’arrêter
    • Évoque l’épuisement et l’engrenage infernal

Interprétation générale : Cette anaphore traduit l’aliénation psychologique totale du courtisan, dont toute l’énergie mentale est absorbée par la nécessité de se protéger. Sa vie n’est plus qu’une succession de stratégies défensives.


Question 3 : Les antithèses et paradoxes

Identifiez au moins trois oppositions présentes dans ce mouvement.

Correction :

1. « plaire à un » / « se méfier de lui » (ligne 1-2)

  • Opposition entre l’obligation de plaire (amour simulé) et la méfiance (crainte réelle)
  • Renforcée par l’adverbe adversatif « néanmoins »
  • Superlatif « plus que de n’importe qui au monde » amplifie le paradoxe

2. « rire à chacun » / « se méfier de tous » (ligne 5)

  • Opposition entre apparence sociale (rire) et sentiment intime (méfiance)
  • « à chacun » (singulier) / « de tous » (collectif) : le courtisan doit sourire individuellement à tous tout en se méfiant collectivement de tous
  • L’adverbe « néanmoins » souligne la contradiction

3. « ennemi ouvert » / « ami assuré » (ligne 5-6)

  • Parallélisme syntaxique et sémantique
  • Double négation « n’avoir aucun… ni… » : absence des deux pôles relationnels
  • « ouvert » / « assuré » : l’opposition porte aussi sur la transparence vs la fiabilité

4. « visage riant » / « cœur transi » (ligne 6)

  • Opposition extérieur/intérieur
  • Métonymies : visage = apparence sociale / cœur = intériorité émotionnelle
  • « riant » (chaleur, vie) / « transi » (froid, paralysie, mort)
  • Métaphore du froid suggérant une mort intérieure

5. « ne pouvoir être joyeux » / « n’oser être triste » (ligne 6-7)

  • Double impossibilité : interdiction des deux émotions fondamentales
  • Double négation (« ne pouvoir » / « n’oser ») qui enferme dans l’absence totale de liberté émotionnelle
  • « pouvoir » (capacité) vs « oser » (courage) : nuance entre l’impossibilité objective et l’autocensure

Que révèlent ces contradictions sur la vie des complices du tyran ?

Correction :

Ces antithèses révèlent plusieurs aspects de leur condition :

  1. Aliénation psychologique totale
    • Ils vivent dans une contradiction permanente entre ce qu’ils doivent faire et ce qu’ils ressentent
    • Dissociation schizophrénique entre apparence et réalité
  2. Corruption des relations humaines
    • Impossibilité de toute relation authentique
    • Monde où l’amitié et l’inimitié n’existent plus en tant que telles
    • Relations réduites à des rapports de force et de calcul
  3. Perte de liberté intérieure
    • Même leurs émotions ne leur appartiennent plus
    • Privation de l’expression naturelle des sentiments
    • Prison psychologique qui va au-delà de la contrainte physique
  4. Dimension inhumaine de la servitude
    • Ces contradictions sont insoutenables pour l’esprit humain
    • Le courtisan n’est plus un homme mais une fonction
    • La tyrannie détruit l’humanité même de ceux qui la servent

Enjeu argumentatif : La Boétie montre que servir le tyran, c’est renoncer à son humanité. Ces contradictions doivent dissuader le lecteur d’entrer dans cette servitude.


Question 4 : Les métaphores du corps et des sens

Relevez les expressions liées au corps et aux sens (vue, ouïe, visage, cœur…).

Correction :

Expressions liées aux sens :

  1. La vue :
    • « avoir toujours l’œil aux aguets » (ligne 2-3)
    • « comprendre l’expression de ses compagnons » (ligne 4)
    • « observer qui le trahit » (ligne 4-5)
  2. L’ouïe :
    • « l’oreille tendue » (ligne 3)
    • « pour savoir d’où viendra le coup » (métaphore auditive : entendre venir le danger)

Expressions liées au corps :

  1. Le visage :
    • « le visage riant » (ligne 6)
    • Métonymie : le visage représente l’apparence sociale, le masque
  2. Le cœur :
    • « le cœur transi » (ligne 6)
    • Métonymie : le cœur représente les sentiments intimes, l’intériorité

Comment ces images traduisent-elles l’aliénation des courtisans ?

Correction :

  1. Mobilisation permanente des sens
    • L’œil et l’oreille sont constamment sollicités pour la surveillance
    • Les sens ne servent plus à percevoir le monde mais à détecter le danger
    • Perversion de leur fonction naturelle
  2. Le corps comme instrument de survie
    • Le corps n’est plus au service du plaisir ou de la vie mais de la protection
    • Réduction de l’être humain à une vigilance animale
    • État d’alerte permanent qui épuise
  3. Dissociation corps/esprit, extérieur/intérieur
    • Le visage ment (sourit) tandis que le cœur souffre (est transi)
    • Fracture de l’être entre ce qu’il montre et ce qu’il ressent
    • Impossibilité de l’authenticité
  4. Métaphore de la paralysie
    • « Cœur transi » évoque le gel, la pétrification
    • Mort intérieure : le courtisan est vivant dehors mais mort dedans
    • Image puissante d’une vie qui n’en est plus vraiment une
  5. Transformation en automate
    • Le corps devient une machine de surveillance et de dissimulation
    • Perte de spontanéité et de naturel
    • Déshumanisation progressive

Interprétation : La Boétie utilise ces métaphores corporelles pour rendre sensible et concrète l’aliénation abstraite. Le lecteur peut physiquement ressentir cette tension permanente, cette vigilance épuisante, cette paralysie émotionnelle. L’effet pathétique est renforcé par cette incarnation de la souffrance.


Question 5 : La perte d’humanité

Analysez la dernière phrase du mouvement : « ne pouvoir être joyeux et n’oser être triste ». Qu’est-ce qui est finalement impossible pour ces hommes ?

Correction :

Cette phrase constitue le point culminant du premier mouvement et exprime l’aliénation ultime.

Analyse syntaxique et stylistique :

  1. Parallélisme syntaxique strict
    • « ne pouvoir être joyeux » // « n’oser être triste »
    • Même construction : négation + infinitif + attribut (émotion)
    • Équilibre parfait qui souligne l’enfermement total
  2. Double négation
    • « ne pouvoir » : impossibilité objective, incapacité
    • « n’oser » : impossibilité subjective, autocensure par peur
    • Nuance importante : l’une vient de l’extérieur, l’autre est intériorisée
  3. Choix des verbes
    • « pouvoir » : capacité, possibilité → privation de la capacité naturelle
    • « oser » : courage, audace → privation de la liberté intérieure
  4. Choix des émotions
    • « joyeux » / « triste » : les deux pôles fondamentaux de l’émotion humaine
    • Pas d’émotions extrêmes (euphorie/désespoir) mais d’émotions normales
    • Privation de la gamme émotionnelle de base

Ce qui est impossible pour ces hommes :

  1. L’expression naturelle des émotions
    • Impossibilité de manifester la joie authentique
    • Impossibilité de montrer la tristesse
    • Obligation de maintenir un visage neutre ou un sourire de façade
  2. La vie émotionnelle elle-même
    • Au-delà de l’expression, c’est le ressenti qui est atteint
    • Le courtisan ne peut plus ÊTRE joyeux (pas seulement le montrer)
    • Destruction de la spontanéité émotionnelle
  3. L’humanité fondamentale
    • Les émotions sont ce qui définit l’être humain
    • Privé de joie et de tristesse, l’homme n’est plus qu’une machine
    • Déshumanisation complète
  4. La liberté intérieure
    • Même dans ses sentiments intimes, le courtisan n’est plus libre
    • La tyrannie colonise jusqu’à son monde intérieur
    • Prison psychologique totale

Quelle dimension philosophique La Boétie donne-t-il à cette servitude ?

Correction :

La Boétie développe ici une réflexion philosophique profonde sur plusieurs plans :

  1. Anthropologique : qu’est-ce qu’être humain ?
    • L’homme se définit par sa capacité émotionnelle
    • Privé d’émotions, il cesse d’être pleinement humain
    • La servitude volontaire est une déshumanisation
  2. Éthique : le prix de l’ambition
    • Ces hommes ont choisi le pouvoir au détriment de leur humanité
    • Question morale : vaut-il la peine de renoncer à soi-même pour servir ?
    • Critique des valeurs qui conduisent à cette aliénation
  3. Politique : la nature du pouvoir tyrannique
    • La tyrannie ne détruit pas seulement la liberté extérieure (du peuple)
    • Elle détruit aussi la liberté intérieure de ceux qui la servent
    • Personne n’est épargné par le système tyrannique, pas même les complices
  4. Existentielle : la vraie vie vs la survie
    • Vivre sans émotions, c’est survivre, pas vivre
    • Question du sens de l’existence : que vaut une vie réduite à la vigilance ?
    • Critique de l’aliénation comme perte du sens de la vie
  5. Humaniste : la dignité humaine
    • Vision humaniste de La Boétie : l’homme doit préserver sa liberté intérieure
    • La dignité passe par l’authenticité émotionnelle
    • Refus de toute forme d’aliénation

Enjeu argumentatif : En montrant que servir le tyran détruit l’humanité même de celui qui sert, La Boétie dissuade son lecteur (issu de la noblesse, susceptible de devenir courtisan) de jamais entrer dans cette servitude. L’argument est puissant : il ne s’agit pas seulement de morale ou de politique, mais de préservation de son humanité fondamentale.


Question 6 : Le lexique de la tromperie

Relevez les termes qui appartiennent au champ lexical de la ruse, du mensonge et de la dissimulation.

Correction :

Termes du champ lexical de la tromperie :

  1. « se méfier » (répété 2 fois, lignes 2 et 5)
    • Absence de confiance
    • Soupçon permanent
  2. « repérer les pièges » (ligne 3-4)
    • « pièges » : tromperie, embûche cachée
    • Univers du complot et de la manipulation
  3. « comprendre l’expression » (ligne 4)
    • Nécessité de décrypter, de deviner ce qui est caché
    • Communication non-verbale comme dissimulation
  4. « observer qui le trahit » (ligne 4-5)
    • « trahit » : rupture d’un engagement, déloyauté
    • Présuppose que la trahison est inévitable
  5. « rire à chacun » (ligne 5)
    • Rire de façade, hypocrite
    • Sourire comme masque social, pas expression authentique
  6. « ennemi ouvert » (ligne 5-6)
    • « ouvert » implique par contraste l’existence d’ennemis cachés
    • Distinction entre menace visible et menace dissimulée
  7. « le visage riant » (ligne 6)
    • Opposition avec « cœur transi » : le visage ment
    • Dissociation entre apparence et réalité

Comment ce vocabulaire contribue-t-il à peindre un univers de fausseté généralisée ?

Correction :

  1. Omniprésence du mensonge
    • Tous les rapports humains sont basés sur la dissimulation
    • Personne ne dit ce qu’il pense ni ne montre ce qu’il ressent
    • Inversion des valeurs : la sincérité devient impossible et dangereuse
  2. Paranoïa généralisée
    • Chacun soupçonne chacun
    • Impossibilité de faire confiance
    • Environnement toxique où règne la peur
  3. Communication pervertie
    • Le langage (verbal et non-verbal) ne sert plus à communiquer mais à tromper
    • Nécessité de décrypter plutôt que d’écouter
    • Perte de la fonction première de la communication humaine
  4. Solitude existentielle
    • Entouré de monde, le courtisan est profondément seul
    • Aucune relation authentique n’est possible
    • Isolement psychologique dans la foule
  5. Théâtre permanent
    • La vie devient une représentation continue
    • Chacun joue un rôle sans jamais pouvoir être soi-même
    • Épuisement de cette comédie perpétuelle
  6. Dégradation morale
    • Cet univers de fausseté corrompt les âmes
    • Les courtisans deviennent ce qu’ils feignent d’être
    • Perte progressive de toute intégrité morale

Interprétation : La Boétie peint la cour du tyran comme un enfer de la dissimulation où toute vérité, toute authenticité, toute relation humaine véritable est impossible. Ce vocabulaire crée une atmosphère claustrophobique et étouffante qui doit répugner le lecteur et le dissuader d’entrer dans ce monde de faux-semblants.


Question 7 : Les négations

Comptez le nombre de négations dans ce mouvement. Que traduisent ces négations répétées sur la condition des courtisans ?

Correction :

Recensement des négations :

  1. « néanmoins se méfier » (ligne 2) – adverbe adversatif = négation implicite du « plaire »
  2. « néanmoins se méfier de tous » (ligne 5) – même fonction
  3. « n’avoir aucun ennemi ouvert » (ligne 5-6)
  4. « ni ami assuré » (ligne 6)
  5. « ne pouvoir être joyeux » (ligne 6-7)
  6. « n’oser être triste » (ligne 7)

Total : 6 négations explicites (+ 2 adversatifs qui fonctionnent comme des négations)

Structure grammaticale :

  • Négations totales avec « ne… aucun », « ne pouvoir », « n’oser »
  • Négations renforcées par « ni »
  • Accumulation qui crée un effet d’enfermement

Ce que traduisent ces négations :

  1. L’impossibilité généralisée
    • Série d’interdits et d’incapacités
    • Liste de ce que le courtisan NE PEUT PAS faire
    • Définition par la privation plutôt que par la possession
  2. L’enfermement progressif
    • Chaque négation ajoute une barrière supplémentaire
    • Accumulation qui donne une impression de clôture
    • Espace de liberté qui se rétrécit jusqu’à disparaître
  3. La définition par le manque
    • Le courtisan n’est plus défini par ce qu’il est mais par ce qu’il n’a pas
    • Identité négative : pas d’ami, pas d’ennemi clair, pas d’émotion
    • Existence réduite à une série d’absences
  4. Le vide existentiel
    • Ces négations créent un vide : que reste-t-il au courtisan ?
    • Vie amputée de tout ce qui fait l’humanité
    • Existence creuse, vidée de substance
  5. L’aliénation totale
    • La négation porte sur tous les aspects de la vie : social (amis), émotionnel (joie, tristesse), psychologique (sécurité)
    • Aucun domaine n’échappe à cette privation
    • Totalité de l’être est atteinte
  6. Le contraste avec la liberté
    • Ces négations font implicitement référence à ce qu’un homme libre PEUT faire
    • Effet argumentatif : la servitude apparaît comme insupportable par contraste
    • Appel implicite à préférer la liberté

Effet rhétorique : L’accumulation des négations crée un effet de saturation qui doit accabler le lecteur et lui faire mesurer l’étendue de la privation. La Boétie construit ainsi un réquisitoire implicite contre la servitude volontaire.


Question 8 : La double contrainte

Montrez que les courtisans sont pris entre deux exigences contradictoires (apparence vs réalité, devoir vs sentiment).

Correction :

Définition de la double contrainte (double bind) : Situation psychologique où une personne reçoit deux injonctions contradictoires qu’elle ne peut satisfaire simultanément, créant une impasse psychologique insupportable.

Les doubles contraintes dans le texte :

1. Plaire / Se méfier (ligne 1-2)

  • Exigence 1 : « Être occupé nuit et jour à plaire à un » → devoir de séduction, d’obéissance
  • Exigence 2 : « se méfier de lui plus que de n’importe qui au monde » → nécessité de protection
  • Contradiction : Comment plaire sincèrement à quelqu’un dont on se méfie absolument ?
  • Conséquence : Le courtisan doit feindre l’amour tout en cultivant la peur → dissociation psychologique

2. Rire / Se méfier (ligne 5)

  • Exigence 1 : « rire à chacun » → devoir social de convivialité
  • Exigence 2 : « se méfier de tous » → prudence existentielle
  • Contradiction : Le rire exprime normalement la confiance, la joie partagée, mais ici il doit coexister avec la méfiance totale
  • Conséquence : Le rire devient un masque vide, une arme de survie, perdant toute authenticité

3. Visage riant / Cœur transi (ligne 6)

  • Exigence 1 : « le visage riant » → apparence joyeuse imposée
  • Exigence 2 : « le cœur transi » → réalité émotionnelle de peur et d’angoisse
  • Contradiction : L’extérieur contredit l’intérieur
  • Conséquence : Fracture de l’être, schizophrénie sociale

4. Ne pouvoir être joyeux / N’oser être triste (ligne 6-7)

  • Exigence 1 : Impossibilité de la joie (sentiment positif naturel)
  • Exigence 2 : Interdiction de la tristesse (sentiment négatif naturel)
  • Contradiction : Privation des deux pôles émotionnels fondamentaux
  • Conséquence : Neutralité émotionnelle forcée = mort intérieure

En quoi cette situation est-elle « un martyre » psychologique ?

Correction :

1. Souffrance permanente et sans échappatoire

  • Le martyre chrétien est temporaire (il mène à la mort puis au salut)
  • Ici, le martyre est quotidien et sans fin : « nuit et jour »
  • Aucune possibilité de fuite : la prison est psychologique

2. Tension psychologique insoutenable

  • Impossibilité de satisfaire simultanément les deux exigences contradictoires
  • État de stress permanent qui épuise les ressources mentales
  • Comme tenir deux pôles magnétiques opposés : effort constant et vain

3. Destruction de l’identité

  • Pour survivre dans la double contrainte, le sujet doit renoncer à son authenticité
  • Ne pouvant être lui-même, il devient personne
  • Perte progressive du sentiment d’exister

4. Culpabilité et impuissance

  • Quelle que soit la posture adoptée, elle est inadéquate
  • Sentiment d’échec permanent
  • Impossibilité de « bien faire »

5. Folie potentielle

  • La double contrainte prolongée mène à des troubles psychiatriques graves
  • Le courtisan est dans une situation psychologiquement pathogène
  • La Boétie suggère que cette vie est littéralement invivable

6. Solitude absolue

  • Personne ne peut comprendre cette souffrance de l’intérieur
  • Même entouré, le courtisan est isolé dans son mensonge perpétuel
  • Impossibilité de partager son vrai ressenti

7. Comparaison avec le martyre religieux

  • Le martyr chrétien souffre pour sa foi → souffrance noble et valorisée
  • Le courtisan souffre pour son ambition → souffrance vile et méprisable
  • La Boétie ironise : ce « martyre » n’a rien d’héroïque

Dimension théorique (anticipation de la psychologie moderne) : La Boétie anticipe ici les travaux du XXe siècle sur la double contrainte (Gregory Bateson, 1956) et ses effets pathogènes. Il montre que la tyrannie ne se limite pas à la violence physique mais exerce une violence psychologique destructrice.

Enjeu argumentatif : En peignant ce martyre psychologique, La Boétie cherche à horrifier son lecteur : aucun avantage matériel ne peut compenser une telle destruction de soi. L’argument est puissant car il touche à la santé mentale, au bien-être psychologique, valeur universellement reconnue.

MOUVEMENT 2 : Réputation et malédiction

« Mais c’est un plaisir […] de leur méchante vie. »


Question 1 : L’ironie et l’antiphrase

Analysez l’expression « c’est un plaisir » et le mot « bien » (ligne 8-9). Quel est le véritable sens de ces termes ?

Correction :

Analyse de « c’est un plaisir » :

  1. Antiphrase évidente
    • Le mot « plaisir » est employé ironiquement
    • Sens littéral : satisfaction, contentement
    • Sens réel : La Boétie va décrire un châtiment terrible
    • Contraste violent entre le mot et la réalité décrite
  2. Ironie mordante
    • La Boétie feint de se réjouir du sort des tyranneaux
    • Ton sarcastique qui révèle son mépris
    • Présence de l’auteur dans son discours (modalisation)
  3. Effet d’annonce
    • Crée une attente chez le lecteur
    • Prépare le renversement : du pathétique (mouvement 1) au polémique
    • Transition entre compassion feinte et condamnation

Analyse de « le bien » :

  1. Antiphrase plus subtile
    • « bien » suggère quelque chose de positif, moral, bénéfique
    • Renvoie ironiquement à un mal, un châtiment
    • Double sens : bien moral (justice rendue) / bien matériel (récompense)
  2. Ironie morale et judiciaire
    • Le « bien » qu’ils reçoivent, c’est la justice qui s’exerce contre eux
    • Inversion des valeurs : leur « récompense » est une punition
    • Jeu sur l’expression « recevoir son bien » = recevoir ce qu’on mérite
  3. Ambiguïté calculée
    • Maintient le lecteur dans l’incertitude
    • Retarde la révélation du châtiment
    • Crée un effet de suspense

Quel effet produit cette ironie sur le lecteur ?

Correction :

  1. Effet de surprise et d’alerte
    • Le changement de ton brutal entre mouvement 1 et 2 saisit le lecteur
    • Passage du pathétique (pitié) à l’ironique (distance critique)
    • Le lecteur comprend que le discours va se durcir
  2. Complicité avec l’auteur
    • L’ironie crée une connivence entre La Boétie et son lecteur
    • Le lecteur cultivé doit « comprendre » le second degré
    • Flatterie implicite de l’intelligence du lecteur
  3. Renforcement du jugement moral
    • L’ironie exprime le mépris de l’auteur pour les tyranneaux
    • Plus violente qu’une condamnation directe
    • Sous-entend que leur sort est tellement mérité qu’on peut s’en réjouir
  4. Anticipation du châtiment
    • L’ironie prépare psychologiquement le lecteur à une punition sévère
    • Crée une attente : quel est ce « plaisir », ce « bien » ?
    • Effet dramatique qui maintient l’attention
  5. Dimension morale
    • Suggère une justice immanente : ils récoltent ce qu’ils ont semé
    • Notion de rétribution morale inévitable
    • Réconfort pour le lecteur : le mal ne reste pas impuni
  6. Distanciation émotionnelle
    • Après avoir suscité la pitié (mouvement 1), La Boétie reprend ses distances
    • L’ironie empêche toute compassion excessive
    • Rappelle que ces hommes sont coupables, pas seulement victimes

Interprétation générale : L’ironie marque un tournant rhétorique : La Boétie passe de la description pathétique à la condamnation polémique. Cette transition est essentielle dans sa stratégie argumentative : il a d’abord montré la souffrance (pour dissuader), il va maintenant montrer le châtiment (pour effrayer).


Question 2 : Le renversement de cible

Qui le peuple accuse-t-il ? Qui n’accuse-t-il pas ? Pourquoi ce choix est-il surprenant ?

Correction :

Qui le peuple accuse-t-il ?

« Le peuple accuse volontiers du mal qu’il souffre, non pas le tyran, mais ceux qui le gouvernent » (ligne 9-10)

Le peuple accuse :

  • « ceux qui le gouvernent » = les tyranneaux, les complices, les intermédiaires
  • « ceux-là » (répété) = pronom démonstratif méprisant qui les désigne
  • Les ministres, conseillers, favoris du tyran
  • Tous les rouages de la machine tyrannique

Qui n’accuse-t-il PAS ?

  • « non pas le tyran » = tournure restrictive très claire
  • Le responsable principal, le chef, la tête du système
  • Celui qui détient le pouvoir réel

Pourquoi ce choix est-il surprenant ?

1. Inversion logique de la responsabilité

  • Logiquement, c’est le tyran qui devrait être haï en premier
  • Il est la source du mal, l’origine de l’oppression
  • Les complices ne sont que des exécutants

2. Paradoxe psychologique

  • Le peuple épargne celui qui l’opprime directement
  • Il concentre sa haine sur les intermédiaires
  • Mécanisme de déplacement de l’agressivité

3. Phénomène du bouc émissaire

  • Les tyranneaux servent d’écrans protecteurs au tyran
  • Le peuple projette toute sa colère sur eux
  • Fonction cathartique : avoir un coupable visible et accessible

4. Inaccessibilité du tyran

  • Le tyran est trop lointain, trop puissant, trop sacré (monarchie de droit divin)
  • Impossibilité psychologique de remettre en cause l’autorité suprême
  • Les tyranneaux sont plus proches, plus concrets, donc plus haïssables

Que révèle l’expression « ceux qui le gouvernent » sur la hiérarchie de la tyrannie ?

Correction :

1. Structure pyramidale du pouvoir

  • Le tyran ne gouverne pas directement : il délègue
  • Existence d’une classe intermédiaire qui fait le lien
  • Système à plusieurs niveaux de domination

2. Les tyranneaux comme rouages essentiels

  • « ceux qui le gouvernent » suggère qu’ils gouvernent LE PEUPLE à la place du tyran
  • Ils sont les agents actifs de l’oppression quotidienne
  • Le tyran règne, les tyranneaux gouvernent (distinction importante)

3. Responsabilité partagée mais différenciée

  • Le tyran est responsable du système
  • Les tyranneaux sont responsables de son application
  • Question morale : qui est le plus coupable ?

4. Visibilité différente

  • Le tyran reste en retrait, distant, presque abstrait
  • Les tyranneaux sont au contact du peuple, visibles, concrets
  • C’est à eux qu’on a affaire au quotidien

5. La chaîne de servitude volontaire

  • Rappel de la thèse centrale du Discours : la tyrannie repose sur une chaîne de servitudes
  • Le tyran a ses favoris, qui ont leurs clients, qui ont leurs subordonnés, etc.
  • Les « tyranneaux » sont un maillon de cette chaîne

6. Efficacité de la tyrannie par délégation

  • Un homme seul (le tyran) ne peut opprimer tout un peuple
  • Il a besoin de complices nombreux
  • Ces complices sont donc indispensables au système

Analyse politique profonde :

La Boétie révèle ici un mécanisme politique subtil :

  • Le tyran se protège en déléguant la violence et l’oppression
  • Les complices font office de paratonnerre : ils attirent la haine sur eux
  • Le tyran conserve parfois une popularité ou du moins échappe à la haine directe
  • Stratégie consciente ou mécanisme spontané ? La Boétie ne tranche pas

Parallèles historiques :

  • Phénomène observable dans de nombreuses tyrannies historiques
  • Le peuple haït les « traîtres », les « collabos », parfois plus que l’occupant
  • Exemple : sous l’Occupation, la haine des collaborateurs dépasse parfois celle des Allemands
  • Les favorites royales (Montespan, Pompadour, Du Barry) cristallisent la haine populaire plus que le roi lui-même

Enjeu argumentatif pour La Boétie : En montrant que les tyranneaux attirent sur eux toute la haine populaire, La Boétie dissuade efficacement son lecteur (issu de la classe qui fournirait ces complices) :

  • Vous ne partagerez pas la gloire du tyran
  • Vous porterez seuls l’opprobre
  • Le tyran vous sacrifiera pour se protéger

Ironie tragique : Les tyranneaux servent le tyran dans l’espoir de partager sa puissance et sa gloire, mais ils ne récoltent que la haine. Ils sont doublement dupes : exploités par le tyran qui les utilise, haïs par le peuple qu’ils oppriment.


Question 3 : Les énumérations et accumulations

Relevez les trois grandes énumérations du passage (lignes 10-13) et analysez leur construction.

Correction :

PREMIÈRE ÉNUMÉRATION : Les auteurs de la malédiction (ligne 10-11)

« ceux-là les peuples, les nations, tout le monde à l’envi jusqu’aux paysans, jusqu’aux laboureurs »

Structure :

  1. Gradation descendante dans l’échelle sociale
  2. Du collectif général au particulier le plus humble
  3. Progression : peuples → nations → tout le monde → paysans → laboureurs

Analyse détaillée :

  • « les peuples, les nations » : dimension collective, abstraite, géographique
    • Pluriel qui suggère l’universalité
    • Échelle large : tous les peuples, toutes les nations
  • « tout le monde à l’envi » : totalisation absolue
    • Expression hyperbolique : sans exception
    • « à l’envi » = en rivalisant, en compétition → même les émotions négatives font l’unanimité
  • « jusqu’aux paysans, jusqu’aux laboureurs » : gradation vers le plus bas de l’échelle sociale
    • Répétition de « jusqu’à » = insistance sur l’étendue
    • Paysans et laboureurs : les plus humbles, les moins éduqués
    • Même ceux-là, réputés ignorants, connaissent et haïssent les tyranneaux
    • Synonymie (paysans/laboureurs) qui renforce par redondance

Effet produit :

  • Universalité de la haine : personne n’échappe, même les plus humbles
  • Gradation descendante qui amplifie : si même les laboureurs les haïssent…
  • Mépris implicite de La Boétie pour « le gros populas » (terme qu’il utilise ailleurs) tout en reconnaissant sa clairvoyance sur ce point

DEUXIÈME ÉNUMÉRATION : La connaissance des vices (ligne 11-12)

« savent leurs noms, déchiffrent leurs vices, amassent à leur sujet mille outrages, mille vilenies, mille malédictions »

Structure :

  1. Rythme ternaire dans les verbes d’action
  2. Gradation ascendante : de la connaissance à l’accumulation de malédictions
  3. Puis rythme ternaire dans les objets avec répétition anaphorique

Analyse détaillée :

Premier mouvement (les verbes) :

  • « savent leurs noms » :
    • Connaissance précise, identification personnelle
    • On ne haït pas des abstractions mais des individus nommés
    • Le nom = siège de l’identité et de l’honneur
  • « déchiffrent leurs vices » :
    • Verbe « déchiffrer » = décoder, percer à jour
    • Le peuple n’est pas dupe : il voit derrière les apparences
    • « leurs vices » = défauts moraux, corruption
    • Clairvoyance populaire qui contraste avec l’aveuglement des tyranneaux
  • « amassent à leur sujet » :
    • Verbe d’accumulation, de collection
    • Processus continu et croissant
    • Métaphore financière/agricole : on engrange, on capitalise la haine

Second mouvement (les objets) :

  • « mille outrages » :
    • « outrage » = offense grave, insulte, affront
    • Hyperbole numérique « mille » = innombrable
    • Dimension publique de l’offense
  • « mille vilenies » :
    • « vilenie » = bassesse, infamie, insulte
    • Plus grave moralement que l’outrage
    • Gradation ascendante
  • « mille malédictions » :
    • Sommet de la gradation
    • Dimension quasi-religieuse, magique
    • Appel au châtiment divin ou au destin funeste
    • Plus grave que l’insulte : souhait de malheur éternel

Effet produit :

  • Crescendo dans la violence verbale
  • Le peuple ne se contente pas de critiquer : il maudit
  • Triple répétition de « mille » = effet d’amplification hyperbolique
  • Foisonnement, débordement incontrôlable de la haine

TROISIÈME ÉNUMÉRATION : L’accusation universelle (ligne 12-14)

« toutes leurs prières, tous leurs vœux sont contre ceux-là ; tous leurs malheurs, toutes les pestes, toutes leurs famines, ils les leur reprochent »

Structure :

  1. Double rythme binaire avec répétition anaphorique de « tous/toutes »
  2. Parallélisme syntaxique strict
  3. Gradation dans les malheurs évoqués

Analyse détaillée :

Premier mouvement (dimension religieuse) :

  • « toutes leurs prières » :
    • Les prières censées s’élever vers Dieu se tournent CONTRE les tyranneaux
    • Inversion blasphématoire : la prière devient malédiction
    • Perversion du sacré
  • « tous leurs vœux » :
    • Les souhaits, les désirs, les espérances
    • Parallèle avec les prières : dimension spirituelle
    • Totalité : « tous » = aucune exception

Second mouvement (dimension matérielle) :

  • « tous leurs malheurs » :
    • Terme général qui englobe toutes les souffrances
    • Bouc émissaire : on leur impute TOUT
  • « toutes les pestes » :
    • Fléau spécifique, épidémie
    • Dimension collective de la catastrophe
    • Châtiment biblique (les plaies d’Égypte)
    • Anachronisme accusatoire : on les rend responsables de calamités naturelles
  • « toutes leurs famines » :
    • Autre fléau spécifique
    • Catastrophe économique et agricole
    • Souffrance physique concrète du peuple

Le verbe « reprochent » :

  • On leur « reproche » = on les tient pour responsables
  • Accusation causale absurde : comment seraient-ils responsables des pestes et famines ?
  • Révèle l’irrationalité de la haine populaire

Effet produit :

  • Totalisation absolue : « tous/toutes » répété 5 fois
  • Le peuple impute AUX tyranneaux la responsabilité de TOUS ses maux
  • Mécanisme du bouc émissaire poussé à l’extrême
  • Absurdité de l’accusation (comment provoquer une peste ?) qui révèle le caractère aveugle et irrationnel de la vindicte

Quel effet produit la répétition de « mille » et de « tous/toutes » ?

Correction :

Effet de la répétition de « mille » :

  1. Hyperbole numérique
    • « Mille » = nombre indéfini très grand, innombrable
    • Ne signifie pas exactement 1000 mais « une multitude »
    • Amplification rhétorique classique
  2. Effet d’accumulation vertigineuse
    • La répétition de « mille » crée un effet de débordement
    • On ne peut plus compter, plus contenir
    • Foisonnement incontrôlable des insultes et malédictions
  3. Rythme incantatoire
    • La répétition crée une musicalité, presque une litanie
    • Effet d’envoûtement, de formule magique
    • Renforce la dimension quasi-religieuse de la malédiction
  4. Amplification de la haine
    • Plus on répète, plus la haine semble immense
    • Effet de loupe qui grossit le phénomène
    • Le lecteur est submergé par cette vague de haine

Effet de la répétition de « tous/toutes » :

  1. Totalisation absolue
    • Aucune exception, aucun reste
    • Couverture complète de tous les domaines (prières, vœux, malheurs, pestes, famines)
    • Universalité de la condamnation
  2. Effet d’enfermement
    • Les tyranneaux sont pris dans un filet dont aucune maille n’est ouverte
    • Impossibilité d’échapper à cette malédiction universelle
    • Claustration dans la haine collective
  3. Rythme martelé
    • La répétition crée un effet de martèlement
    • Comme des coups répétés qui enfoncent un clou
    • Insistance obsessionnelle
  4. Dimension obsessionnelle de la haine
    • Le peuple ne pense qu’à eux
    • Ils occupent toutes les pensées (prières, vœux, reproches)
    • Omniprésence négative dans la conscience collective

Effet combiné des deux répétitions :

  1. Débordement rhétorique
    • La Boétie lui-même semble emporté par un flot de mots
    • Mimétisme : le style imite le débordement de la haine populaire
    • Excès stylistique qui traduit l’excès émotionnel
  2. Effet de réel
    • Ces répétitions donnent une impression de spontanéité populaire
    • On « entend » la voix du peuple à travers ce style accumulatif
    • Reproduction du parler populaire (exagération, répétition)
  3. Ironie de La Boétie
    • Ces accumulations révèlent aussi l’outrance et l’injustice de la vindicte populaire
    • Le peuple, dans son irrationalité, accuse les tyranneaux de TOUT, même des catastrophes naturelles
    • Double regard : La Boétie montre la haine méritée mais aussi l’aveuglement populaire

Interprétation finale : Ces répétitions servent la double stratégie de La Boétie :

  1. Dissuasion : montrer au lecteur potentiel complice qu’il sera haï universellement et excessivement
  2. Critique du peuple : révéler l’irrationalité de la foule qui se trompe de cible (elle devrait haïr le tyran) et exagère (pestes et famines ne sont pas de leur fait)

La Boétie ne porte pas d’estime au « gros populas », et ces énumérations excessives trahissent aussi une forme de mépris pour l’aveuglement populaire.


Question 4 : Le vocabulaire de la haine

Listez les termes péjoratifs utilisés pour désigner les complices ou leurs actions.

Correction :

TERMES PÉJORATIFS DÉSIGNANT LES COMPLICES :

  1. « ceux-là » (ligne 10, répété)
    • Pronom démonstratif péjoratif
    • Forme de mépris par mise à distance
    • « Ceux-là » vs « ceux-ci » : plus méprisant
  2. « mangepeuples » (ligne 18)
    • Néologisme inventé par La Boétie
    • Calque d’une épithète homérique (Agamemnon « dévoreur de peuples »)
    • Image violente et bestiale : prédateur qui se nourrit du peuple
    • Déshumanisation : comparaison à un monstre anthropophage
  3. « leurs vices » (ligne 11)
    • Défauts moraux, corruption
    • Pluriel : accumulation de tares
  4. Implicite dans « ceux qui le gouvernent » (ligne 10)
    • Formulation qui les réduit à une fonction oppressive
    • Pas de nom propre, pas d’humanité : ils sont définis par leur rôle néfaste

TERMES PÉJORATIFS DÉSIGNANT LEURS ACTIONS OU CE QU’ILS REÇOIVENT :

  1. « outrages » (ligne 12)
    • Offenses graves, affronts publics
    • Violence verbale
  2. « vilenies » (ligne 12)
    • Bassesses, infamies, insultes
    • Dénonce leur caractère vil, ignoble
  3. « malédictions » (ligne 12)
    • Imprécations, souhaits de malheur
    • Dimension quasi-religieuse de condamnation
  4. « les avoir en horreur » (ligne 14-15)
    • Sentiment extrême : pas seulement détestation mais horreur
    • Réaction viscérale, physique
    • Comparaison : « plus cruellement que les bêtes sauvages »
  5. « leur méchante vie » (ligne 20)
    • Jugement moral définitif
    • « méchante » = mauvaise moralement, cruelle
    • Toute leur existence est condamnée

CHAMP LEXICAL DE LA VIOLENCE :

  1. « leur corps dépecé » (ligne 16-17)
    • Image de démembrement, d’écartèlement
    • Supplice médiéval réservé aux traîtres
    • Violence extrême du châtiment fantasmé
  2. « réputation déchirée » (ligne 19)
    • Métaphore de déchirement, de lacération
    • Violence symbolique mais très concrète dans l’image
    • Parallèle avec le démembrement physique
  3. « leurs os mêmes […] traînés par la postérité » (ligne 19-20)
    • Profanation du cadavre
    • Référence à Hector traîné par Achille
    • Humiliation posthume extrême
    • Pas de repos même dans la mort
  4. « noirci de l’encre de mille plumes » (ligne 18-19)
    • Métaphore : l’encre comme arme
    • « Noirci » = sali, souillé moralement
    • Violence symbolique de l’écriture

COMPARAISONS DÉGRADANTES :

  1. « plus cruellement que les bêtes sauvages » (ligne 14-15)
    • Comparaison animale péjorative
    • Infériorité même aux bêtes féroces
    • Déshumanisation complète

Comment le champ lexical de la violence se développe-t-il progressivement ?

Correction :

GRADATION EN QUATRE TEMPS :

1. VIOLENCE VERBALE (début du mouvement, lignes 10-13)

  • « outrages, vilenies, malédictions »
  • Violence encore symbolique, sociale
  • Atteinte à l’honneur et à la réputation
  • Niveau le moins grave mais déjà intense

2. VIOLENCE ÉMOTIONNELLE (lignes 13-15)

  • « avoir en horreur plus cruellement que les bêtes sauvages »
  • Intensification : on passe de l’insulte au sentiment viscéral
  • Comparaison animale qui déshumanise
  • Haine profonde et durable

3. VIOLENCE PHYSIQUE FANTASMÉE (lignes 16-17)

  • « même s’ils avaient chacun un morceau de leur corps dépecé »
  • Première image de violence corporelle
  • Hypothétique (conditionnel) mais très concrète
  • Démembrement, écartèlement
  • Référence aux supplices médiévaux (écartèlement des traîtres)
  • Tournant crucial : on passe du symbolique au physique

4. VIOLENCE SYMBOLIQUE POSTHUME (lignes 18-20)

  • « nom noirci », « réputation déchirée », « os traînés »
  • Châtiment qui dépasse la mort
  • Damnatio memoriae (effacement du souvenir)
  • Violence symbolique mais exprimée en termes très physiques (« déchirée », « traînés »)
  • Éternité de la punition : « encore après leur mort »

ANALYSE DE CETTE PROGRESSION :

1. Crescendo de la violence

  • Chaque étape est plus violente que la précédente
  • Mouvement d’intensification continue
  • Pas de palier, pas de plateau : escalade constante

2. Du social au physique

  • On commence par l’atteinte sociale (réputation, honneur)
  • On passe à l’atteinte physique (démembrement)
  • On finit par l’atteinte métaphysique (damnation éternelle)
  • Toutes les dimensions de l’être sont touchées

3. Du présent à l’éternité

  • Violence immédiate (insultes quotidiennes)
  • Violence potentielle (démembrement fantasmé)
  • Violence éternelle (malédiction posthume)
  • Extension temporelle infinie

4. Mimétisme stylistique

  • Le style de La Boétie mime la montée de la violence
  • Les phrases s’allongent, s’accélèrent
  • Les images deviennent de plus en plus crues
  • Le lecteur ressent physiquement cette escalade

5. Du collectif à l’individuel et retour

  • Violence collective du peuple (insultes)
  • Violence individualisée (chacun un morceau)
  • Violence collective de la postérité (mille plumes, mille livres)
  • Le collectif encadre et engloutit l’individu

EFFETS PRODUITS :

1. Effet de saturation

  • Le lecteur est submergé par cette accumulation
  • Impression d’excès, de débordement
  • Peut susciter le dégoût ou la peur

2. Dissuasion maximale

  • Stratégie argumentative de La Boétie : effrayer le lecteur potentiel complice
  • Montrer que RIEN ne vaut un tel châtiment
  • Aucun avantage matériel ne peut compenser

3. Double ironie

  • Ironie 1 : ces châtiments terribles ne frappent pas le vrai coupable (le tyran)
  • Ironie 2 : certains de ces châtiments sont absurdes (pestes, famines) ou purement symboliques
  • La Boétie révèle aussi l’irrationalité de la vindicte populaire

4. Question de l’efficacité

  • Cette violence (surtout symbolique) est-elle vraiment un châtiment ?
  • Les mots suffisent-ils face à la violence réelle du pouvoir ?
  • Limite de l’arme des « mille plumes » face au pouvoir des tyrans ?

5. Ambiguïté du point de vue de La Boétie

  • Décrit-il cette violence avec approbation ou distance critique ?
  • La présente-t-il comme justice méritée ou comme aveuglement populaire ?
  • Ambiguïté calculée qui enrichit le texte

CONCLUSION SUR LA GRADATION :

La Boétie construit une rhétorique de l’effroi par cette gradation violente. Mais cette violence reste largement symbolique (mots, écrits, mémoire) ce qui pose implicitement la question : les tyranneaux ont-ils vraiment à craindre cette vengeance ? Ne sont-ils pas protégés par leur pouvoir réel ? Cette ambiguïté finale suggère peut-être l’impuissance relative du peuple face aux puissants, même dans sa haine.


Question 5 : Les images de punition

Analysez les métaphores violentes : « corps dépecé », « réputation déchirée », « os traînés par la postérité ».

Correction :

PREMIÈRE IMAGE : « corps dépecé » (ligne 16-17)

« même s’ils avaient chacun un morceau de leur corps dépecé »

Analyse littérale :

  1. « Dépecer » : découper en morceaux, démembrer
    • Terme de boucherie (dépecer un animal)
    • Application à un corps humain → déshumanisation
    • Supplice médiéval : écartèlement des traîtres
  2. « chacun un morceau » :
    • Distribution collective : chaque membre du peuple reçoit une part
    • Image cannibale : partage du corps comme d’une proie
    • Satisfaction collective par le démembrement
  3. Hypothétique : « même s’ils avaient »
    • Mode conditionnel : scène imaginée, fantasmée
    • Mais très concrète dans l’image
    • Violence contenue par l’irréel mais psychologiquement présente

Interprétation symbolique :

  1. Référence historique :
    • Révolte de la gabelle en Guyenne (1548) : émeutes populaires violentes
    • Châtiments médiévaux des traîtres : pendaison, écartèlement, démembrement
    • Mémoire collective de la violence populaire
  2. Rituel de purification :
    • Le démembrement comme élimination du mal
    • Destruction totale du corps coupable
    • Impossibilité de reconstitution, donc de résurrection symbolique
  3. Appropriation collective :

Réessayer

M

Continuer

Le peuple s’approprie littéralement les corps des oppresseurs

  • Inversion du rapport de force : ceux qui « mangeaient » le peuple sont maintenant « mangés »
  • Justice immanente dans l’image même
  1. Déshumanisation complète :
    • Traitement réservé aux animaux (boucherie)
    • Les tyranneaux réduits au statut de bêtes
    • Symétrie avec « mangepeuples » : ils dévoraient, ils sont dévorés

Effets produits :

  1. Violence extrême mais hypothétique :
    • La Boétie suggère sans affirmer
    • Permet d’exprimer la violence sans l’encourager
    • Distance de l’irréel du conditionnel
  2. Insuffisance de cette violence :
    • « ne seraient pas encore […] assez satisfaits »
    • Même cette violence extrême ne suffit pas
    • Insatiabilité de la vengeance populaire
  3. Révélation de l’outrance populaire :
    • Image tellement excessive qu’elle révèle l’irrationalité
    • La Boétie suggère-t-il que le peuple va trop loin ?
    • Critique implicite de la vindicte aveugle

DEUXIÈME IMAGE : « réputation déchirée » (ligne 19)

« leur réputation déchirée dans mille livres »

Analyse littérale :

  1. « Réputation » :
    • Capital symbolique, honneur social
    • Ce qui reste après la mort
    • Dimension immatérielle mais essentielle (surtout pour la noblesse)
  2. « Déchirée » :
    • Métaphore textile : déchirer un tissu, un vêtement
    • Violence du geste : lacération, mise en lambeaux
    • Irréversibilité : ce qui est déchiré ne peut être recousu parfaitement
  3. « Dans mille livres » :
    • Hyperbole numérique
    • Multiplication des sources de destruction
    • « Livres » = arme principale de l’humaniste

Interprétation symbolique :

  1. Parallèle avec le corps dépecé :
    • Même verbe de violence physique (« déchiré »/ »dépecé »)
    • Mais appliqué à l’immatériel (réputation)
    • Passage du physique au symbolique
    • La violence symbolique prend le relais de la violence physique impossible
  2. Pouvoir de l’écrit :
    • Les livres comme armes
    • L’encre comme instrument de destruction
    • Conviction humaniste : le verbe écrit est plus puissant que l’épée
    • Immortalité de l’écrit = éternité de la condamnation
  3. Démultiplication :
    • « Mille livres » = infinité de textes
    • Chaque livre = un nouveau déchirement
    • Accumulation qui fragmente jusqu’à l’anéantissement total
    • Impossible d’échapper : diffusion universelle de l’écrit
  4. Damnatio memoriae :
    • Effacement de la mémoire honorable
    • Remplacement par une mémoire infâme
    • Survie paradoxale : on se souvient d’eux, mais en mal
    • Pire que l’oubli : le souvenir déshonorant

Effets produits :

  1. Mise en abyme :
    • La Boétie écrit lui-même un de ces livres qui déchirent la réputation des tyranneaux
    • Auto-référence implicite : ce Discours participe à cette destruction
    • Le texte accomplit ce qu’il décrit
  2. Valorisation de l’écrit humaniste :
    • L’arme de l’humaniste = le livre
    • Supériorité morale et pratique sur la violence physique
    • Pérennité de l’action intellectuelle
  3. Menace crédible pour le lecteur noble :
    • Le lecteur de La Boétie appartient à la classe lettrée
    • Il comprend la valeur de la réputation
    • Pour lui, cette menace est peut-être plus efficace que celle du démembrement
    • Touche directement ses valeurs (honneur, gloire, renommée)

TROISIÈME IMAGE : « os traînés par la postérité » (ligne 19-20)

« et leurs os mêmes, pour ainsi dire, traînés par la postérité »

Analyse littérale :

  1. « leurs os mêmes » :
    • Réduction ultime : après la mort, il ne reste que les os
    • « mêmes » insiste : jusqu’aux os, au-delà de tout
    • Profanation du cadavre, violation de la sépulture
  2. « traînés » :
    • Verbe de violence et d’humiliation
    • Traîner quelque chose = absence de respect, de dignité
    • Traîner un corps = suprême humiliation
  3. « par la postérité » :
    • Extension temporelle : pour toujours
    • Les générations futures continueront l’humiliation
    • Pas de prescription, pas de pardon du temps
  4. « pour ainsi dire » :
    • Précaution oratoire : métaphore assumée
    • Passage du littéral (démembrement) au figuré (os traînés)
    • Mais la violence de l’image reste

Interprétation symbolique :

  1. Référence homérique :
    • Hector traîné par Achille autour des murs de Troie
    • Profanation du cadavre comme vengeance extrême
    • Outrage au mort, transgression des lois sacrées
    • Culture humaniste de La Boétie : référence noble pour acte ignoble
  2. Profanation posthume :
    • Pas de repos même dans la mort
    • Violation de la sacralité du tombeau
    • Continuation de la punition au-delà de la vie
  3. Inversion de l’honneur funéraire :
    • Normalement : funérailles honorables, mémoire pieuse
    • Ici : dégradation continue du souvenir
    • Les morts « mal morts » qui ne trouvent pas le repos
  4. Métaphore du souvenir maltraité :
    • « Os traînés » = mémoire souillée, traînée dans la boue
    • Chaque évocation de leur nom = nouveau traînement
    • Impossible d’échapper même par la mort

Effets produits :

  1. Éternité de la punition :
    • La mort ne libère pas
    • Punition qui transcende les limites temporelles de la vie
    • Désespoir absolu : aucune échappatoire
  2. Violence symbolique maximale :
    • Atteinte au sacré (respect des morts)
    • Transgression ultime dans la vengeance
    • Pour une société chrétienne : impossibilité du salut ?
  3. Impuissance de la postérité :
    • Mais concrètement, comment « traîne-t-on » des os par l’écriture ?
    • Image puissante mais action faible
    • Limite de la vengeance symbolique : elle ne touche plus les morts

Quelle double vengeance La Boétie évoque-t-il ? (physique et symbolique)

Correction :

LA DOUBLE VENGEANCE : ANALYSE COMPARATIVE

1. VENGEANCE PHYSIQUE (corps dépecé)

Caractéristiques :

  • Violence corporelle, matérielle, concrète
  • Immédiate, dans le présent
  • Satisfaction immédiate du besoin de revanche
  • Destruction du corps vivant

Modalité :

  • Hypothétique, conditionnelle : « même s’ils avaient »
  • Fantasmée mais non réalisée
  • Évoquée pour être aussitôt dépassée comme insuffisante

Limites :

  • Temporaire : la mort met fin au corps, donc à la punition corporelle
  • Locale : limitée aux témoins de l’exécution
  • Oubliable : la mémoire s’efface avec le temps
  • Inefficace : « ne seraient pas encore […] assez satisfaits »

Qui l’exerce :

  • Le peuple directement, dans la violence collective
  • Action de la foule émeutière
  • Justice populaire immédiate et brutale

2. VENGEANCE SYMBOLIQUE (réputation déchirée, os traînés)

Caractéristiques :

  • Violence verbale, écrite, mémorielle
  • Différée, posthume, éternelle
  • Destruction de l’honneur et de la mémoire
  • Atteinte à l’identité sociale et historique

Modalité :

  • Assertive, indicative : « ne soit noirci », « sont traînés »
  • Présentée comme réelle, effective
  • Décrite au présent de vérité générale

Avantages :

  • Éternelle : transcende la mort
  • Universelle : « mille plumes », « mille livres » = diffusion illimitée
  • Inéluctable : impossible d’y échapper
  • Cumulative : chaque génération ajoute sa condamnation

Qui l’exerce :

  • La postérité, les écrivains, les lettrés
  • Justice intellectuelle, humaniste
  • Action des livres et de l’histoire

HIÉRARCHIE ET PRÉFÉRENCE DE LA BOÉTIE

La vengeance symbolique est supérieure :

  1. Durée :
    • Physique = limitée à la durée de vie
    • Symbolique = éternelle
  2. Portée :
    • Physique = locale, immédiate
    • Symbolique = universelle, diffusée partout
  3. Efficacité :
    • Physique = insuffisante (« pas encore assez satisfaits »)
    • Symbolique = complète, définitive
  4. Nature :
    • Physique = violence brutale, primitive
    • Symbolique = justice intellectuelle, civilisée
  5. Légitimité :
    • Physique = justice populaire, potentiellement excessive et aveugle
    • Symbolique = jugement de l’histoire, mesuré et argumenté

Position humaniste de La Boétie :

  1. Le livre comme arme ultime :
    • L’humaniste fait confiance à l’écrit plus qu’à la violence
    • Le verbe est plus fort que l’épée
    • Pérennité de l’écrit vs fugacité de la violence physique
  2. Civilisation de la vengeance :
    • Passage de la violence brute à la violence symbolique
    • Raffinement de la punition : elle devient intellectuelle
    • Supériorité morale de cette vengeance
  3. Mise en abyme :
    • Le Discours lui-même est un de ces livres qui « noircissent » les noms
    • La Boétie participe à cette vengeance symbolique
    • Auto-légitimation de son acte d’écriture

MAIS : AMBIGUÏTÉ ET IRONIE

Limites de la vengeance symbolique :

  1. Inefficacité réelle :
    • Les morts ne souffrent plus : que leur fait une mauvaise réputation ?
    • Les os traînés métaphoriquement ne ressentent rien
    • Satisfaction pour les vivants, mais punition réelle pour les coupables ?
  2. Question de la justice :
    • Est-ce vraiment une justice ou une simple satisfaction psychologique ?
    • La vengeance posthume atteint-elle vraiment ses cibles ?
    • Les tyranneaux vivants se soucient-ils de leur réputation future ?
  3. Impuissance du verbe :
    • Pendant ce temps, les tyranneaux vivent dans le luxe et le pouvoir
    • Ils jouissent de leurs richesses, de leur influence
    • Que pèsent « mille livres » face à la puissance réelle ?
  4. Aveu d’échec ? :
    • Si on doit recourir à la vengeance posthume, n’est-ce pas parce que la vengeance présente est impossible ?
    • La justice différée = justice impuissante ?
    • Les mots suffisent-ils vraiment ?

INTERPRÉTATION FINALE

La Boétie présente une double vengeance mais valorise clairement la vengeance symbolique, conforme à ses valeurs humanistes. Cependant, une lecture attentive révèle une ambiguïté :

  1. Lecture optimiste :
    • Les livres sont l’arme ultime
    • La postérité rend justice
    • L’honneur et la réputation comptent plus que tout
    • La menace de l’infamie posthume doit dissuader
  2. Lecture pessimiste :
    • Cette insistance sur la vengeance symbolique trahit l’impuissance de la vengeance réelle
    • Les mots ne changent rien au rapport de forces
    • Les tyranneaux continuent d’opprimer pendant que les livres les condamnent
    • Consolation illusoire pour les opprimés

Enjeu pour le lecteur (noble potentiellement complice) :

La Boétie fait le pari que ce lecteur, homme cultivé, valorise l’honneur et la réputation plus que les richesses matérielles. Pour lui, la menace de l’infamie éternelle devrait être dissuasive. Mais est-ce vraiment le cas ? La question reste ouverte.


Question 6 : Le néologisme « mangepeuples »

Que signifie ce terme inventé par La Boétie ? Quelle image des tyranneaux crée-t-il ?

Correction :

ANALYSE DU NÉOLOGISME

Étymologie et formation :

  1. Composition :
    • « Mange » = verbe manger au présent
    • « Peuples » = nom pluriel
    • Mot-valise : verbe + complément d’objet
    • Type de composition productive en français (cf. « trouble-fête », « gagne-pain »)
  2. Référence homérique :
    • Calque de l’épithète homérique δημοβόρος (dêmoboros)
    • « Dévoreur de peuple » appliqué à Agamemnon dans l’Iliade
    • Achille accuse Agamemnon d’être un « roi dévorateur de peuple »
    • Marque de culture humaniste de La Boétie
  3. Innovation lexicale :
    • Mot inventé par La Boétie, non attesté avant lui
    • Procédé caractéristique de la Renaissance (enrichissement de la langue)
    • Annonce les innovations de la Pléiade (Du Bellay, Ronsard)
    • Défense et illustration de la langue française

SIGNIFICATION LITTÉRALE ET FIGURÉE

Sens littéral (métaphorique) :

  1. Dévoration, prédation :
    • Image d’un prédateur qui se nourrit du peuple
    • Rapport de prédation : le peuple = proie, les tyranneaux = prédateurs
    • Consommation destructrice : manger = faire disparaître
  2. Cannibalisme métaphorique :
    • Les tyranneaux sont de la même espèce que le peuple (humains)
    • Mais ils dévorent leurs semblables
    • Transgression du tabou anthropophage
    • Déshumanisation par l’acte même de « manger » l’humain

Sens figuré (politique et économique) :

  1. Exploitation économique :
    • « Manger » le peuple = le spolier, le pressurer
    • Extraction des richesses, confiscation des biens
    • Impôts excessifs, corruption, vol
    • Le peuple appauvri pour enrichir les complices
  2. Destruction sociale :
    • Dévorer = détruire, anéantir
    • Les tyranneaux détruisent le tissu social
    • Consument les forces vives de la nation
    • Épuisement des ressources humaines
  3. Vampirisme politique :
    • Se nourrir de la substance du peuple pour vivre
    • Parasitisme : vivre aux dépens d’autrui
    • Relation asymétrique : l’un prospère, l’autre dépérit

IMAGE CRÉÉE DES TYRANNEAUX

1. Bestialisation et déshumanisation

  • Réduction à une fonction digestive :
    • Définis par l’acte de manger
    • Pas d’autre caractéristique que la voracité
    • Pulsion primaire, instinctive
  • Comparaison animale :
    • Animaux prédateurs (loups, lions, rapaces)
    • Bêtes féroces et voraces
    • Instinct de prédation sans morale ni pitié
  • Monstruosité :
    • Pas un animal naturel mais un monstre
    • Créature contre-nature qui dévore ses semblables
    • Hybride monstrueux (homme + prédateur)

2. Inversion des valeurs

  • Perversion de la fonction nourricière :
    • Normalement, on nourrit le peuple (bon roi = pasteur)
    • Ici, on se nourrit DU peuple (inversion cannibale)
    • Subversion du rôle protecteur du pouvoir
  • Renversement de la hiérarchie naturelle :
    • Le peuple (base productive) devrait être protégé
    • Les élites (improductives) devraient servir l’intérêt général
    • Ici : les élites parasitent et détruisent la base

3. Voracité insatiable

  • Appétit sans limite :
    • « Manger » suggère un acte répété, continu
    • Jamais rassasiés, toujours affamés
    • Cupidité sans fond
  • Destruction progressive :
    • Grignotent, rongent, dévorent le peuple
    • Processus continu qui finit par tout consumer
    • Menace existentielle pour le peuple

4. Violence de l’image

  • Concrétude physique :
    • Image très visuelle, presque gore
    • On imagine la chair dévorée
    • Violence palpable de la métaphore
  • Émotion suscitée :
    • Dégoût, répulsion
    • Horreur devant l’acte cannibale
    • Rejet viscéral des tyranneaux

5. Dimension collective et anonyme

  • Pluriel : « mangepeuples »
    • Pas un individu mais une classe
    • Multiplicité des prédateurs
    • Système organisé de prédation
  • Anonymat :
    • Pas de noms propres, juste une fonction
    • Interchangeables dans leur voracité
    • Désindividualisation

EFFETS RHÉTORIQUES

1. Efficacité de la métaphore

  • Image frappante et mémorable :
    • Néologisme qui marque les esprits
    • Formule condensée qui synthétise tout un système
    • Slogan efficace : peut être repris, diffusé
  • Clarté pédagogique :
    • Métaphore accessible à tous (même « jusqu’aux laboureurs »)
    • Rend visible un mécanisme abstrait (exploitation)
    • Concrétise la relation de domination

2. Dimension polémique

  • Insulte violente :
    • Néologisme comme arme verbale
    • Stigmatisation définitive
    • Impossibilité de réhabilitation : comment ne plus être un « mangepeuple » ?
  • Appel au mépris et à la haine :
    • Suscite la répulsion
    • Justifie la condamnation
    • Légitime la vengeance

3. Portée politique

  • Critique du système, pas des individus :
    • Le néologisme décrit une fonction sociale
    • Au-delà des personnes, c’est le rôle qui est dénoncé
    • Analyse structurelle de l’oppression
  • Universalité :
    • Pas limité au XVIe siècle français
    • Applicable à tout système tyrannique
    • Concept transhistorique

4. Héritage littéraire et culturel

  • Culture humaniste :
    • Référence homérique qui ennoblit le discours
    • Montre l’érudition de l’auteur
    • Dialogue avec l’Antiquité
  • Innovation linguistique :
    • Participe au renouvellement de la langue française
    • Esprit de la Renaissance : enrichir, créer, oser
    • Liberté de l’écrivain humaniste face à la langue

COMPARAISON AVEC D’AUTRES IMAGES DU TEXTE

Cohérence métaphorique :

  1. Lien avec « bêtes sauvages » (ligne 14-15) :
    • Même registre de la bestialité
    • Cohérence de l’imagerie animale
    • Réseau métaphorique structuré
  2. Écho avec « corps dépecé » (ligne 16-17) :
    • Inversion : ceux qui dévoraient sont dépecés
    • Justice immanente dans la symétrie des images
    • Loi du talion métaphorique
  3. Contraste avec « martyre » du mouvement 1 :
    • Les tyranneaux étaient d’abord victimes (martyrs)
    • Maintenant ils sont bourreaux (mangepeuples)
    • Renversement de perspective

INTERPRÉTATION POLITIQUE PROFONDE

Le néologisme révèle la thèse centrale du Discours :

  1. Chaîne de prédation :
    • Le tyran « mange » les tyranneaux
    • Les tyranneaux « mangent » le peuple
    • Système gigogne de prédations emboîtées
    • Chacun exploite celui du dessous
  2. Servitude volontaire comme auto-destruction :
    • Les tyranneaux acceptent d’être mangés par le tyran
    • Pour pouvoir manger le peuple à leur tour
    • Illusion de gagner alors qu’ils sont aussi dévorés
    • Cercle vicieux de l’exploitation mutuelle
  3. Critique radicale du pouvoir :
    • Tout pouvoir tyrannique est prédation
    • Impossibilité d’un « bon » tyran ou d’un « bon » tyranneau
    • La fonction même est corrompue
    • Appel implicite au refus de servir

RÉSONANCES MODERNES

Le terme « mangepeuples » anticipe des concepts ultérieurs :

  1. « Sangsues » (physiocrates, XVIIIe) :
    • Même image de parasitisme
    • Classes improductives qui sucent le sang du peuple
  2. « Vampire » (Marx, XIXe) :
    • Le capital comme vampire qui suce le sang du travailleur
    • Exploitation comme prédation vitale
  3. « Élites prédatrices » (sociologie contemporaine) :
    • Analyse des classes dirigeantes comme extractives
    • Prédation économique systémique

CONCLUSION SUR LE NÉOLOGISME

Le terme « mangepeuples » est un coup de génie rhétorique :

  1. Efficacité : image forte, mémorable, claire
  2. Érudition : référence humaniste qui valorise l’auteur
  3. Innovation : création linguistique qui marque
  4. Polémique : arme verbale violente et définitive
  5. Profondeur : révèle toute une analyse politique

C’est l’exemple parfait de la puissance du verbe humaniste : un mot nouveau qui condense toute une critique sociale et qui traverse les siècles. La Boétie montre ici que l’écrivain peut, par un néologisme bien frappé, marquer durablement les consciences – accomplissant ainsi ce qu’il décrit : noircir les noms, déchirer les réputations, par la seule force des mots.


Question 7 : La valeur des temps verbaux

Observez le passage du conditionnel (ligne 17) au présent de l’indicatif (lignes 18-20). Quelle est la valeur de ce présent ?

Correction :

ANALYSE DU CONDITIONNEL (ligne 16-17)

« même s’ils avaient chacun un morceau de leur corps dépecé, ne seraient pas encore, semble-t-il, assez satisfaits, ni à moitié soulagés de leur peine »

Valeur du conditionnel :

  1. Hypothèse irréelle :
    • Système hypothétique : si + plus-que-parfait → conditionnel présent
    • Irréel du présent : cela ne s’est pas produit et ne se produira probablement pas
    • Scène imaginée, fantasmée, non réalisée
  2. Potentiel non actualisé :
    • Évoque une possibilité qui reste virtuelle
    • Distance entre le discours et la réalité
    • Protection de l’auteur : il ne prône pas la violence, il l’imagine
  3. Fonction argumentative :
    • Permet d’évoquer la violence sans l’encourager
    • Montre l’intensité de la haine sans appeler au meurtre
    • Rhétorique de la suggestion plutôt que de l’incitation

ANALYSE DU PRÉSENT DE L’INDICATIF (lignes 18-20)

« ceux qui leur succèdent ne sont jamais si paresseux que le nom de ces mangepeuples ne soit noirci de l’encre de mille plumes, et leur réputation déchirée dans mille livres, et leurs os mêmes, pour ainsi dire, traînés par la postérité »

Valeurs multiples du présent :

1. PRÉSENT DE VÉRITÉ GÉNÉRALE

  • Énoncé atemporel :
    • Valable en tout temps, en tout lieu
    • Loi générale, constante anthropologique
    • « ne sont jamais » : négation absolue qui universalise
  • Dimension gnomique :
    • Sentence, maxime, vérité établie
    • Ton assertif, affirmatif
    • Autorité de l’énonciateur
  • Exemples du texte :
    • « ne sont jamais si paresseux » : loi générale sur le comportement des générations successives
    • Valable pour le passé (Néron, César), le présent, le futur

2. PRÉSENT ITÉRATIF (répétition)

  • Action qui se répète :
    • À chaque génération, le processus recommence
    • « mille plumes », « mille livres » : multiplicité des occurrences
    • Répétition infinie de la condamnation
  • Continuité temporelle :
    • Passé : déjà des livres ont noirci leurs noms
    • Présent : on continue à les condamner
    • Futur : on continuera toujours

3. PRÉSENT D’ACTUALITÉ

  • Ancrage dans le maintenant :
    • Ce châtiment se produit actuellement
    • Le Discours lui-même participe à ce « noircissement »
    • Mise en abyme : La Boétie fait ce qu’il décrit
  • Efficacité immédiate :
    • Pas besoin d’attendre : le jugement est déjà là
    • Les tyranneaux contemporains sont déjà « déchirés » par les écrits
    • Menace actuelle, pas hypothétique

4. PRÉSENT PROPHÉTIQUE

  • Projection dans le futur :
    • « la postérité » : les générations futures
    • Certitude de l’avenir : le présent affirme ce qui sera
    • Inéluctabilité du châtiment à venir
  • Valeur performative :
    • En l’écrivant au présent, La Boétie rend la chose certaine
    • Le dire, c’est déjà le faire advenir
    • Pouvoir créateur de la parole

QUEL EFFET PRODUIT CE CHANGEMENT DE TEMPS ?

1. PASSAGE DU POSSIBLE AU CERTAIN

Du conditionnel (hypothétique) :

  • Violence physique : peut-être, si jamais…
  • Domaine de l’imaginaire, du fantasme
  • Incertitude, éventualité

Au présent (assertif) :

  • Violence symbolique : c’est ainsi, c’est certain
  • Domaine du réel, de l’actuel
  • Certitude, nécessité

Effet : renforcement de la menace

  • La vengeance symbolique n’est pas hypothétique, elle EST
  • Plus crédible donc plus dissuasive
  • Passage de la possibilité à la réalité

2. HIÉRARCHISATION DES CHÂTIMENTS

Violence physique (conditionnel) :

  • Irréelle, non réalisée
  • Insuffisante de toute façon
  • Reléguée au rang de fantasme impuissant

Violence symbolique (présent) :

  • Réelle, effective, actuelle
  • Suffisante et définitive
  • Élevée au rang de vérité établie

Effet : valorisation de la vengeance intellectuelle

  • Supériorité de l’arme humaniste (le livre) sur la violence brute
  • Le verbe est plus efficace que l’épée
  • Conviction humaniste dans le pouvoir de l’écrit

3. GLISSEMENT DE L’ÉMOTION À LA RAISON

Conditionnel :

  • Registre pathétique/polémique
  • Appel aux émotions (violence, vengeance)
  • Chaleur de la passion

Présent :

  • Registre didactique/assertif
  • Énoncé de vérités objectives
  • Froideur de la raison

Effet : légitimation intellectuelle

  • Passage du ressenti populaire (haine) au jugement rationnel (condamnation)
  • Élévation du propos
  • Autorité de l’énonciateur renforcée

4. ÉLARGISSEMENT TEMPOREL

Conditionnel :

  • Moment ponctuel imaginé
  • « s’ils avaient » : instant hypothétique unique
  • Temporalité limitée

Présent :

  • Durée infinie
  • « jamais », « toujours », « postérité » : éternité
  • Temporalité illimitée

Effet : terreur de l’éternité

  • Le châtiment symbolique n’a pas de fin
  • Impossible d’y échapper, même par la mort
  • Angoisse existentielle : condamnation perpétuelle

5. ENGAGEMENT DE L’AUTEUR

Conditionnel :

  • Distance énonciative
  • La Boétie reste extérieur à la scène
  • Simple observateur qui imagine

Présent :

  • Implication directe
  • La Boétie participe au châtiment qu’il décrit
  • Acteur du processus de condamnation

Effet : performativité du texte

  • Le Discours accomplit ce qu’il énonce
  • Mise en abyme : en écrivant cela, La Boétie « noircit » lui-même les noms
  • Auto-légitimation de l’acte d’écriture

6. STRATÉGIE ARGUMENTATIVE

Pour le lecteur potentiel complice :

Message du conditionnel :

  • « Si le peuple vous attrapait, il vous démembrerait »
  • Mais : c’est hypothétique, vous pouvez vous protéger
  • Menace théorique, évitable

Message du présent :

  • « Votre réputation SERA détruite, c’est inévitable »
  • Impossible d’y échapper
  • Menace certaine, inéluctable

Effet dissuasif renforcé :

  • On peut échapper à la foule (gardes, châteaux, exil)
  • On ne peut échapper aux livres (diffusion universelle, éternité)
  • La menace la plus crédible est donc la plus efficace

ANALYSE STYLISTIQUE FINE

Marqueurs de la transition :

« Mais certes » (ligne 17-18) :

  • Conjonction adversative « mais » : rupture, opposition
  • Adverbe de certitude « certes » : affirmation forte
  • Annonce le passage de l’hypothétique au certain

« après même qu’ils soient morts » :

  • Subjonctif présent : actualisation de l’hypothèse de la mort
  • « après même » : insistance sur la continuation au-delà
  • Pivot temporel : de la vie (conditionnel) à la mort (présent)

Structure syntaxique :

  • Phrase hypothétique complexe → phrase assertive simple
  • Subordination conditionnelle → proposition principale
  • Incertitude grammaticale → certitude grammaticale

COMPARAISON AVEC D’AUTRES PASSAGES

Mouvement 1 (pathétique) :

  • Temps dominants : présent + infinitifs
  • « Être occupé », « avoir l’œil », « ne pouvoir être »
  • Présent de description, d’état permanent
  • Valeur : actualité de la souffrance

Début Mouvement 2 (ironique) :

  • « c’est un plaisir » : présent gnomique ironique
  • « le peuple accuse » : présent itératif
  • « ils reçoivent » : présent d’actualité

Fin Mouvement 2 (assertif) :

  • Présent de vérité générale dominant
  • Affirmation de lois universelles
  • Ton prophétique et définitif

Progression globale :

  • De la description (mouvement 1) à l’affirmation (fin mouvement 2)
  • Du pathétique au didactique
  • De l’émotion à la sentence

DIMENSION PHILOSOPHIQUE

Le présent comme expression de l’éternité :

  1. Conception du temps :
    • Le présent grammatical efface la distinction passé/futur
    • Éternité = présent perpétuel
    • Ce qui est vrai maintenant l’a toujours été et le sera toujours
  1. Immortalité paradoxale :
    • Les tyranneaux accèdent à une forme d’immortalité
    • Mais négative : on se souvient d’eux en mal
    • Survie dans l’infamie plutôt que dans la gloire
  1. Justice immanente :
    • Le présent suggère une loi naturelle, inévitable
    • Pas besoin d’intervention divine : le mécanisme est automatique
    • Conviction humaniste : la vérité finit toujours par triompher

AMBIGUÏTÉ ET LIMITES

Questions que soulève ce présent assertif :

  1. Est-ce vraiment vrai ?
    • Tous les tyrans et leurs complices sont-ils condamnés par la postérité ?
    • Contre-exemples : certains oppresseurs sont oubliés, voire admirés
    • Le présent affirme plus qu’il ne décrit : c’est un souhait autant qu’un constat
  1. Qui décide de cette condamnation ?
    • « Ceux qui leur succèdent » : les générations futures
    • Mais les générations futures peuvent avoir d’autres valeurs
    • L’histoire est écrite par les vainqueurs : risque de révision
  1. Efficacité réelle ?
    • Les tyranneaux morts se soucient-ils de leur réputation ?
    • La menace posthume est-elle dissuasive pour qui vit dans le présent ?
    • Les jouissances immédiates l’emportent-elles sur les craintes futures ?
  1. Pouvoir réel de l’écrit ?
    • « Mille livres » peuvent-ils vraiment détruire une réputation solidement établie ?
    • Les puissants ne contrôlent-ils pas aussi la production des livres ?
    • Optimisme humaniste ou naïveté ?

IRONIE POSSIBLE

Une lecture ironique du présent :

Le présent de vérité générale pourrait aussi être lu comme :

  • Ironie tragique : La Boétie affirme une loi qui n’est pas toujours vérifiée
  • Wishful thinking : ce qu’il voudrait qui soit vrai plus que ce qui est vraiment vrai
  • Performatif incantatoire : dire au présent pour tenter de faire advenir
  • Consolation des impuissants : à défaut de pouvoir vraiment punir, on se console en écrivant

Cette ambiguïté enrichit le texte :

  • Pour le lecteur croyant au pouvoir des livres : menace crédible
  • Pour le lecteur sceptique : révélation de l’impuissance relative du verbe
  • Pour La Boétie lui-même : peut-être un doute sur l’efficacité de sa propre entreprise

CONCLUSION SUR LE PASSAGE DU CONDITIONNEL AU PRÉSENT

Ce glissement temporal n’est pas anodin : il marque un tournant rhétorique et philosophique majeur.

1. Rhétorique :

  • Renforcement de l’efficacité dissuasive
  • De l’hypothétique au certain = de la menace vaine à la menace réelle
  • Passage de l’émotion (violence fantasmée) à la raison (loi établie)

2. Philosophique :

  • Affirmation du pouvoir de l’écrit et de la mémoire
  • Foi humaniste dans la justice de l’histoire
  • Croyance en l’éternité du jugement moral

3. Politique :

  • Légitimation de l’acte d’écriture comme acte de résistance
  • L’intellectuel peut, par son verbe, punir les puissants
  • Pouvoir symbolique comme contrepoids au pouvoir réel

4. Ambiguë :

  • Mais cette confiance est-elle justifiée ?
  • Le présent affirme plus qu’il ne prouve
  • Possibilité d’une lecture ironique : aveu d’impuissance déguisé en certitude

Ce changement de temps est donc un moment clé du texte, où La Boétie passe de la description à l’affirmation, du constat à la prophétie, de l’analyse à l’engagement. C’est le moment où l’écrivain humaniste revendique son pouvoir : celui de condamner, de juger, de punir par les mots – quitte à ce que cette revendication révèle aussi ses limites.


Question 8 : Le double registre : pitié et mépris

Relevez les expressions qui pourraient susciter la pitié pour les tyranneaux. Relevez celles qui expriment le mépris.

Correction :

EXPRESSIONS SUSCITANT LA PITIÉ

1. « ce grand tourment » (ligne 8)

  • Hyperbole de la souffrance
  • « grand » = intensité exceptionnelle
  • « tourment » = souffrance prolongée, torture morale
  • Rappelle le « martyre » du mouvement 1

2. « leur peine et de leur misérable vie » (ligne 9)

  • « peine » = souffrance, difficulté
  • « misérable » = digne de pitié, malheureux
  • « vie » qualifiée de misérable = existence tout entière frappée
  • Champ lexical du malheur

3. « le mal qu’il souffre » (ligne 9)

  • Le peuple « souffre » = victime
  • Mais par extension, les tyranneaux aussi (puisqu’ils reçoivent toute la haine)
  • Ambiguïté : qui souffre vraiment ?

4. « du service » (ligne 15-16)

  • « service » peut suggérer le dévouement, le sacrifice
  • Connotation potentiellement noble (servir l’État)
  • Mais immédiatement ironisé par le contexte

5. « ne seraient pas encore […] assez satisfaits, ni à moitié soulagés de leur peine » (ligne 17)

  • « leur peine » = répétition du vocabulaire de la souffrance
  • Suggère une douleur profonde et durable
  • Insatiabilité de leur besoin de vengeance = intensité de leur souffrance initiale ?

EXPRESSIONS EXPRIMANT LE MÉPRIS

1. « ceux-là » (ligne 10, répété)

  • Pronom démonstratif péjoratif
  • Mise à distance méprisante
  • Ton de dédain
  • Refus de les nommer autrement que par ce déictique dévalorisant

2. « leur réputation […] leurs os » (ligne 19-20)

  • Réduction à une réputation (pas une identité)
  • Réduction à des os (reste ultime, décomposé)
  • Déshumanisation progressive

3. « mangepeuples » (ligne 18)

  • Néologisme insultant
  • Bestialisation : prédateurs voraces
  • Monstre moral
  • Violence extrême du terme

4. Tout le vocabulaire de haine populaire :

  • « outrages, vilenies, malédictions » (ligne 12-13)
  • Accumulation d’insultes et d’imprécations
  • Le peuple les méprise absolument

5. « leur méchante vie » (ligne 20)

  • Jugement moral définitif
  • « méchante » = mauvaise, cruelle, immorale
  • Condamnation sans appel de leur existence entière

6. Images dégradantes :

  • « corps dépecé » (ligne 17) : traitement de boucherie
  • « réputation déchirée » (ligne 19) : violence de la destruction
  • « os traînés » (ligne 19-20) : profanation ultime
  • Déshumanisation complète par ces images

7. « en horreur plus cruellement que les bêtes sauvages » (ligne 14-15)

  • Comparaison superlative dégradante
  • Pires que des animaux féroces
  • Infériorité ontologique
  • Répulsion viscérale

COMMENT LA BOÉTIE JOUE-T-IL SUR CES DEUX ÉMOTIONS CONTRADICTOIRES ?

1. STRUCTURE DUELLE DU DISCOURS

Mouvement 1 :

  • Dominante : pitié
  • Registre pathétique
  • Description de la souffrance des courtisans
  • Lecteur invité à compatir (tout en jugeant)

Début Mouvement 2 :

  • Transition : ironie
  • « c’est un plaisir de considérer » = antiphrase
  • Fausse compassion qui annonce le basculement

Suite Mouvement 2 :

  • Dominante : mépris
  • Registre polémique
  • Description du châtiment mérité
  • Lecteur invité à condamner et à haïr

Progression émotionnelle : Pitié → Ironie → Mépris

  • Évolution calculée pour manipuler les émotions du lecteur
  • De la compassion à la répulsion

2. AMBIGUÏTÉ DÉLIBÉRÉE

Maintien de traces de pitié dans le mouvement 2 :

Même quand il décrit leur châtiment, La Boétie continue d’employer :

  • « leur peine » (deux fois)
  • « leur misérable vie »
  • « le mal qu’il souffre »

Effet :

  • Ambivalence émotionnelle
  • Le lecteur ne sait plus s’il doit plaindre ou mépriser
  • Complexité psychologique du jugement

Maintien de traces de mépris dans le mouvement 1 :

Déjà dans le mouvement 1, l’ironie était présente :

  • « Quelle peine, quel martyre » : possible ironie
  • « ô Dieu » : peut-être moquerie
  • Fausse compassion qui cache le jugement

3. STRATÉGIE RHÉTORIQUE : LE DOUBLE BIND ÉMOTIONNEL

La Boétie place le lecteur dans une situation inconfortable :

Dilemme moral :

  • Doit-on plaindre les tyranneaux (qui souffrent) ?
  • Ou les mépriser (qui sont coupables) ?
  • Impossible de choisir clairement

Fonctions de cette ambivalence :

A) Pour le lecteur déjà complice :

  • Se reconnaît dans la description pathétique du mouvement 1
  • Espère peut-être la compassion du lecteur
  • Mais découvre avec effroi qu’il est aussi objet de mépris
  • Effet : prise de conscience de sa situation réelle

B) Pour le lecteur potentiel complice :

  • Voit à la fois la souffrance ET l’opprobre
  • Mesure le prix complet de la servitude volontaire
  • Effet : dissuasion maximale (peur de la souffrance + peur du mépris)

C) Pour le lecteur extérieur (peuple, philosophe) :

  • Invité à une réflexion complexe sur la responsabilité
  • Ni compassion aveugle, ni haine simpliste
  • Effet : jugement nuancé, moral et politique

4. RÉVÉLATION DE LA COMPLEXITÉ MORALE

Les tyranneaux sont à la fois :

VICTIMES :

  • Du tyran qui les exploite
  • De leur propre ambition qui les aveugle
  • D’un système qui les broie
  • Du peuple qui les haït injustement (pour partie)

COUPABLES :

  • D’opprimer le peuple
  • De servir volontairement le tyran
  • De choisir l’ambition sur la liberté
  • De perpétuer la tyrannie

Impossibilité de trancher :

  • Ni victimes innocentes, ni bourreaux purs
  • Situation intermédiaire, complexe
  • Responsabilité partagée dans le système tyrannique

Position de La Boétie :

  • Refuse le manichéisme
  • Analyse la servitude volontaire comme piège psychologique ET choix moral
  • Montre la complexité des rapports de domination

5. CRITIQUE IMPLICITE DU PEUPLE

Le jeu sur pitié/mépris révèle aussi :

L’injustice partielle de la vindicte populaire :

  • Le peuple hait les tyranneaux mais épargne le tyran
  • Il les accuse même de catastrophes naturelles (pestes, famines)
  • Excès et irrationalité de la haine collective

Fonction des expressions de pitié :

  • Rappeler que les tyranneaux ne sont pas les seuls responsables
  • Suggérer que le peuple se trompe de cible
  • Nuancer le jugement populaire excessif

Ambiguïté de La Boétie :

  • Utilise la haine populaire comme arme dissuasive
  • Mais montre aussi ses limites et ses excès
  • Distance critique par rapport au « gros populas »

6. FONCTION CATHARTIQUE

Pour le lecteur, cette oscillation émotionnelle produit :

Phase 1 – Pitié :

  • Identification possible avec les tyranneaux
  • « Cela pourrait être moi »
  • Émotion de compassion, peur pour soi

Phase 2 – Mépris :

  • Rejet, distance
  • « Je ne veux pas être comme eux »
  • Émotion de répulsion, désir de s’en distinguer

Résultat cathartique :

  • Purge des tentations du pouvoir
  • Libération par l’identification puis le rejet
  • Résolution : choisir la liberté plutôt que la servitude

7. IRONIE TRAGIQUE

La juxtaposition pitié/mépris crée une ironie tragique :

Les tyranneaux :

  • Cherchent la gloire, trouvent l’opprobre
  • Cherchent le pouvoir, trouvent la servitude
  • Cherchent le plaisir, trouvent le tourment
  • Cherchent la vie, trouvent la mort (symbolique et réelle)

Inversion systématique :

  • Entre leurs attentes et la réalité
  • Entre ce qu’ils croient être et ce qu’ils sont
  • Entre ce qu’ils pensent recevoir et ce qu’ils reçoivent vraiment

Pathétique de l’erreur :

  • Ils se trompent absolument
  • Aveuglement tragique sur leur propre situation
  • Pitié pour leur erreur, mépris pour leur choix

8. DIMENSION PSYCHOLOGIQUE MODERNE

Anticipation de concepts psychologiques :

Ambivalence émotionnelle :

  • Possibilité d’éprouver simultanément des émotions contradictoires
  • Complexité de nos réactions face à autrui
  • Impossibilité de sentiments purs

Victime ET coupable :

  • Concept moderne de la « zone grise » (Primo Levi)
  • Ni innocent ni coupable absolu
  • Complexité morale des situations de domination

Responsabilité dans l’aliénation :

  • Peut-on reprocher à quelqu’un d’être aliéné ?
  • Responsabilité de celui qui choisit sa propre servitude ?
  • Questions philosophiques profondes

CONCLUSION SUR LE DOUBLE REGISTRE

Le jeu sur pitié et mépris n’est pas une incohérence mais une stratégie rhétorique sophistiquée aux multiples fonctions :

1. Dissuasion maximale :

  • Montrer à la fois la souffrance (peur) et l’opprobre (honte)
  • Double punition pour double effet dissuasif

2. Complexité morale :

  • Refus du manichéisme
  • Analyse nuancée de la servitude volontaire
  • Reconnaissance de la difficulté du jugement

3. Critique du peuple :

  • Révéler l’injustice et l’excès de la vindicte populaire
  • Montrer que le peuple se trompe de cible
  • Distance aristocratique de l’humaniste

4. Effet cathartique :

  • Permettre au lecteur de s’identifier puis de se libérer
  • Purger les tentations du pouvoir par leur exposition

5. Ironie tragique :

  • Montrer l’écart entre attentes et réalité
  • Pathétique de l’erreur humaine
  • Dimension quasi-shakespearienne

Cette ambivalence émotionnelle fait toute la richesse et la modernité du texte de La Boétie. Il refuse les émotions simples (haine pure ou pitié pure) pour proposer une lecture complexe, adulte, philosophique de la servitude volontaire. C’est un des aspects qui font du Discours un texte encore vivant aujourd’hui.

  • Le châtiment symbolique n’a pas de fin
  • Impossible d’y échapper, même par la mort
  • Angoisse existentielle : condamnation perpétuelle

5. ENGAGEMENT DE L’AUTEUR

Conditionnel :

  • Distance énonciative
  • La Boétie reste extérieur à la scène
  • Simple observateur qui imagine

Présent :

  • Implication directe
  • La Boétie participe au châtiment qu’il décrit
  • Acteur du processus de condamnation

Effet : performativité du texte

  • Le Discours accomplit ce qu’il énonce
  • Mise en abyme : en écrivant cela, La Boétie « noircit » lui-même les noms
  • Auto-légitimation de l’acte d’écriture

6. STRATÉGIE ARGUMENTATIVE

Pour le lecteur potentiel complice :

Message du conditionnel :

  • « Si le peuple vous attrapait, il vous démembrerait »
  • Mais : c’est hypothétique, vous pouvez vous protéger
  • Menace théorique, évitable

Message du présent :

  • « Votre réputation SERA détruite, c’est inévitable »
  • Impossible d’y échapper
  • Menace certaine, inéluctable

Effet dissuasif renforcé :

  • On peut échapper à la foule (gardes, châteaux, exil)
  • On ne peut échapper aux livres (diffusion universelle, éternité)
  • La menace la plus crédible est donc la plus efficace

ANALYSE STYLISTIQUE FINE

Marqueurs de la transition :

« Mais certes » (ligne 17-18) :

  • Conjonction adversative « mais » : rupture, opposition
  • Adverbe de certitude « certes » : affirmation forte
  • Annonce le passage de l’hypothétique au certain

« après même qu’ils soient morts » :

  • Subjonctif présent : actualisation de l’hypothèse de la mort
  • « après même » : insistance sur la continuation au-delà
  • Pivot temporel : de la vie (conditionnel) à la mort (présent)

Structure syntaxique :

  • Phrase hypothétique complexe → phrase assertive simple
  • Subordination conditionnelle → proposition principale
  • Incertitude grammaticale → certitude grammaticale

COMPARAISON AVEC D’AUTRES PASSAGES

Mouvement 1 (pathétique) :

  • Temps dominants : présent + infinitifs
  • « Être occupé », « avoir l’œil », « ne pouvoir être »
  • Présent de description, d’état permanent
  • Valeur : actualité de la souffrance

Début Mouvement 2 (ironique) :

  • « c’est un plaisir » : présent gnomique ironique
  • « le peuple accuse » : présent itératif
  • « ils reçoivent » : présent d’actualité

Fin Mouvement 2 (assertif) :

  • Présent de vérité générale dominant
  • Affirmation de lois universelles
  • Ton prophétique et définitif

Progression globale :

  • De la description (mouvement 1) à l’affirmation (fin mouvement 2)
  • Du pathétique au didactique
  • De l’émotion à la sentence

DIMENSION PHILOSOPHIQUE

Le présent comme expression de l’éternité :

  1. Conception du temps :
    • Le présent grammatical efface la distinction passé/futur
    • Éternité = présent perpétuel
    • Ce qui est vrai maintenant l’a toujours été et le sera toujours
  2. Immortalité paradoxale :
    • Les tyranneaux accèdent à une forme d’immortalité
    • Mais négative : on se souvient d’eux en mal
    • Survie dans l’infamie plutôt que dans la gloire
  3. Justice immanente :
    • Le présent suggère une loi naturelle, inévitable
    • Pas besoin d’intervention divine : le mécanisme est automatique
    • Conviction humaniste : la vérité finit toujours par triompher

AMBIGUÏTÉ ET LIMITES

Questions que soulève ce présent assertif :

  1. Est-ce vraiment vrai ?
    • Tous les tyrans et leurs complices sont-ils condamnés par la postérité ?
    • Contre-exemples : certains oppresseurs sont oubliés, voire admirés
    • Le présent affirme plus qu’il ne décrit : c’est un souhait autant qu’un constat
  2. Qui décide de cette condamnation ?
    • « Ceux qui leur succèdent » : les générations futures
    • Mais les générations futures peuvent avoir d’autres valeurs
    • L’histoire est écrite par les vainqueurs : risque de révision
  3. Efficacité réelle ?
    • Les tyranneaux morts se soucient-ils de leur réputation ?
    • La menace posthume est-elle dissuasive pour qui vit dans le présent ?
    • Les jouissances immédiates l’emportent-elles sur les craintes futures ?
  4. Pouvoir réel de l’écrit ?
    • « Mille livres » peuvent-ils vraiment détruire une réputation solidement établie ?
    • Les puissants ne contrôlent-ils pas aussi la production des livres ?
    • Optimisme humaniste ou naïveté ?

IRONIE POSSIBLE

Une lecture ironique du présent :

Le présent de vérité générale pourrait aussi être lu comme :

  • Ironie tragique : La Boétie affirme une loi qui n’est pas toujours vérifiée
  • Wishful thinking : ce qu’il voudrait qui soit vrai plus que ce qui est vraiment vrai
  • Performatif incantatoire : dire au présent pour tenter de faire advenir
  • Consolation des impuissants : à défaut de pouvoir vraiment punir, on se console en écrivant

Cette ambiguïté enrichit le texte :

  • Pour le lecteur croyant au pouvoir des livres : menace crédible
  • Pour le lecteur sceptique : révélation de l’impuissance relative du verbe
  • Pour La Boétie lui-même : peut-être un doute sur l’efficacité de sa propre entreprise

CONCLUSION SUR LE PASSAGE DU CONDITIONNEL AU PRÉSENT

Ce glissement temporal n’est pas anodin : il marque un tournant rhétorique et philosophique majeur.

1. Rhétorique :

  • Renforcement de l’efficacité dissuasive
  • De l’hypothétique au certain = de la menace vaine à la menace réelle
  • Passage de l’émotion (violence fantasmée) à la raison (loi établie)

2. Philosophique :

  • Affirmation du pouvoir de l’écrit et de la mémoire
  • Foi humaniste dans la justice de l’histoire
  • Croyance en l’éternité du jugement moral

3. Politique :

  • Légitimation de l’acte d’écriture comme acte de résistance
  • L’intellectuel peut, par son verbe, punir les puissants
  • Pouvoir symbolique comme contrepoids au pouvoir réel

4. Ambiguë :

  • Mais cette confiance est-elle justifiée ?
  • Le présent affirme plus qu’il ne prouve
  • Possibilité d’une lecture ironique : aveu d’impuissance déguisé en certitude

Ce changement de temps est donc un moment clé du texte, où La Boétie passe de la description à l’affirmation, du constat à la prophétie, de l’analyse à l’engagement. C’est le moment où l’écrivain humaniste revendique son pouvoir : celui de condamner, de juger, de punir par les mots – quitte à ce que cette revendication révèle aussi ses limites.


Question 8 : Le double registre : pitié et mépris

Relevez les expressions qui pourraient susciter la pitié pour les tyranneaux. Relevez celles qui expriment le mépris.

Correction :

EXPRESSIONS SUSCITANT LA PITIÉ

1. « ce grand tourment » (ligne 8)

  • Hyperbole de la souffrance
  • « grand » = intensité exceptionnelle
  • « tourment » = souffrance prolongée, torture morale
  • Rappelle le « martyre » du mouvement 1

2. « leur peine et de leur misérable vie » (ligne 9)

  • « peine » = souffrance, difficulté
  • « misérable » = digne de pitié, malheureux
  • « vie » qualifiée de misérable = existence tout entière frappée
  • Champ lexical du malheur

3. « le mal qu’il souffre » (ligne 9)

  • Le peuple « souffre » = victime
  • Mais par extension, les tyranneaux aussi (puisqu’ils reçoivent toute la haine)
  • Ambiguïté : qui souffre vraiment ?

4. « du service » (ligne 15-16)

  • « service » peut suggérer le dévouement, le sacrifice
  • Connotation potentiellement noble (servir l’État)
  • Mais immédiatement ironisé par le contexte

5. « ne seraient pas encore […] assez satisfaits, ni à moitié soulagés de leur peine » (ligne 17)

  • « leur peine » = répétition du vocabulaire de la souffrance
  • Suggère une douleur profonde et durable
  • Insatiabilité de leur besoin de vengeance = intensité de leur souffrance initiale ?

EXPRESSIONS EXPRIMANT LE MÉPRIS

1. « ceux-là » (ligne 10, répété)

  • Pronom démonstratif péjoratif
  • Mise à distance méprisante
  • Ton de dédain
  • Refus de les nommer autrement que par ce déictique dévalorisant

2. « leur réputation […] leurs os » (ligne 19-20)

  • Réduction à une réputation (pas une identité)
  • Réduction à des os (reste ultime, décomposé)
  • Déshumanisation progressive

3. « mangepeuples » (ligne 18)

  • Néologisme insultant
  • Bestialisation : prédateurs voraces
  • Monstre moral
  • Violence extrême du terme

4. Tout le vocabulaire de haine populaire :

  • « outrages, vilenies, malédictions » (ligne 12-13)
  • Accumulation d’insultes et d’imprécations
  • Le peuple les méprise absolument

5. « leur méchante vie » (ligne 20)

  • Jugement moral définitif
  • « méchante » = mauvaise, cruelle, immorale
  • Condamnation sans appel de leur existence entière

6. Images dégradantes :

  • « corps dépecé » (ligne 17) : traitement de boucherie
  • « réputation déchirée » (ligne 19) : violence de la destruction
  • « os traînés » (ligne 19-20) : profanation ultime
  • Déshumanisation complète par ces images

7. « en horreur plus cruellement que les bêtes sauvages » (ligne 14-15)

  • Comparaison superlative dégradante
  • Pires que des animaux féroces
  • Infériorité ontologique
  • Répulsion viscérale

COMMENT LA BOÉTIE JOUE-T-IL SUR CES DEUX ÉMOTIONS CONTRADICTOIRES ?

1. STRUCTURE DUELLE DU DISCOURS

Mouvement 1 :

  • Dominante : pitié
  • Registre pathétique
  • Description de la souffrance des courtisans
  • Lecteur invité à compatir (tout en jugeant)

Début Mouvement 2 :

  • Transition : ironie
  • « c’est un plaisir de considérer » = antiphrase
  • Fausse compassion qui annonce le basculement

Suite Mouvement 2 :

  • Dominante : mépris
  • Registre polémique
  • Description du châtiment mérité
  • Lecteur invité à condamner et à haïr

Progression émotionnelle : Pitié → Ironie → Mépris

  • Évolution calculée pour manipuler les émotions du lecteur
  • De la compassion à la répulsion

2. AMBIGUÏTÉ DÉLIBÉRÉE

Maintien de traces de pitié dans le mouvement 2 :

Même quand il décrit leur châtiment, La Boétie continue d’employer :

  • « leur peine » (deux fois)
  • « leur misérable vie »
  • « le mal qu’il souffre »

Effet :

  • Ambivalence émotionnelle
  • Le lecteur ne sait plus s’il doit plaindre ou mépriser
  • Complexité psychologique du jugement

Maintien de traces de mépris dans le mouvement 1 :

Déjà dans le mouvement 1, l’ironie était présente :

  • « Quelle peine, quel martyre » : possible ironie
  • « ô Dieu » : peut-être moquerie
  • Fausse compassion qui cache le jugement

3. STRATÉGIE RHÉTORIQUE : LE DOUBLE BIND ÉMOTIONNEL

La Boétie place le lecteur dans une situation inconfortable :

Dilemme moral :

  • Doit-on plaindre les tyranneaux (qui souffrent) ?
  • Ou les mépriser (qui sont coupables) ?
  • Impossible de choisir clairement

Fonctions de cette ambivalence :

A) Pour le lecteur déjà complice :

  • Se reconnaît dans la description pathétique du mouvement 1
  • Espère peut-être la compassion du lecteur
  • Mais découvre avec effroi qu’il est aussi objet de mépris
  • Effet : prise de conscience de sa situation réelle

B) Pour le lecteur potentiel complice :

  • Voit à la fois la souffrance ET l’opprobre
  • Mesure le prix complet de la servitude volontaire
  • Effet : dissuasion maximale (peur de la souffrance + peur du mépris)

C) Pour le lecteur extérieur (peuple, philosophe) :

  • Invité à une réflexion complexe sur la responsabilité
  • Ni compassion aveugle, ni haine simpliste
  • Effet : jugement nuancé, moral et politique

4. RÉVÉLATION DE LA COMPLEXITÉ MORALE

Les tyranneaux sont à la fois :

VICTIMES :

  • Du tyran qui les exploite
  • De leur propre ambition qui les aveugle
  • D’un système qui les broie
  • Du peuple qui les haït injustement (pour partie)

COUPABLES :

  • D’opprimer le peuple
  • De servir volontairement le tyran
  • De choisir l’ambition sur la liberté
  • De perpétuer la tyrannie

Impossibilité de trancher :

  • Ni victimes innocentes, ni bourreaux purs
  • Situation intermédiaire, complexe
  • Responsabilité partagée dans le système tyrannique

Position de La Boétie :

  • Refuse le manichéisme
  • Analyse la servitude volontaire comme piège psychologique ET choix moral
  • Montre la complexité des rapports de domination

5. CRITIQUE IMPLICITE DU PEUPLE

Le jeu sur pitié/mépris révèle aussi :

L’injustice partielle de la vindicte populaire :

  • Le peuple hait les tyranneaux mais épargne le tyran
  • Il les accuse même de catastrophes naturelles (pestes, famines)
  • Excès et irrationalité de la haine collective

Fonction des expressions de pitié :

  • Rappeler que les tyranneaux ne sont pas les seuls responsables
  • Suggérer que le peuple se trompe de cible
  • Nuancer le jugement populaire excessif

Ambiguïté de La Boétie :

  • Utilise la haine populaire comme arme dissuasive
  • Mais montre aussi ses limites et ses excès
  • Distance critique par rapport au « gros populas »

6. FONCTION CATHARTIQUE

Pour le lecteur, cette oscillation émotionnelle produit :

Phase 1 – Pitié :

  • Identification possible avec les tyranneaux
  • « Cela pourrait être moi »
  • Émotion de compassion, peur pour soi

Phase 2 – Mépris :

  • Rejet, distance
  • « Je ne veux pas être comme eux »
  • Émotion de répulsion, désir de s’en distinguer

Résultat cathartique :

  • Purge des tentations du pouvoir
  • Libération par l’identification puis le rejet
  • Résolution : choisir la liberté plutôt que la servitude

7. IRONIE TRAGIQUE

La juxtaposition pitié/mépris crée une ironie tragique :

Les tyranneaux :

  • Cherchent la gloire, trouvent l’opprobre
  • Cherchent le pouvoir, trouvent la servitude
  • Cherchent le plaisir, trouvent le tourment
  • Cherchent la vie, trouvent la mort (symbolique et réelle)

Inversion systématique :

  • Entre leurs attentes et la réalité
  • Entre ce qu’ils croient être et ce qu’ils sont
  • Entre ce qu’ils pensent recevoir et ce qu’ils reçoivent vraiment

Pathétique de l’erreur :

  • Ils se trompent absolument
  • Aveuglement tragique sur leur propre situation
  • Pitié pour leur erreur, mépris pour leur choix

8. DIMENSION PSYCHOLOGIQUE MODERNE

Anticipation de concepts psychologiques :

Ambivalence émotionnelle :

  • Possibilité d’éprouver simultanément des émotions contradictoires
  • Complexité de nos réactions face à autrui
  • Impossibilité de sentiments purs

Victime ET coupable :

  • Concept moderne de la « zone grise » (Primo Levi)
  • Ni innocent ni coupable absolu
  • Complexité morale des situations de domination

Responsabilité dans l’aliénation :

  • Peut-on reprocher à quelqu’un d’être aliéné ?
  • Responsabilité de celui qui choisit sa propre servitude ?
  • Questions philosophiques profondes

CONCLUSION SUR LE DOUBLE REGISTRE

Le jeu sur pitié et mépris n’est pas une incohérence mais une stratégie rhétorique sophistiquée aux multiples fonctions :

1. Dissuasion maximale :

  • Montrer à la fois la souffrance (peur) et l’opprobre (honte)
  • Double punition pour double effet dissuasif

2. Complexité morale :

  • Refus du manichéisme
  • Analyse nuancée de la servitude volontaire
  • Reconnaissance de la difficulté du jugement

3. Critique du peuple :

  • Révéler l’injustice et l’excès de la vindicte populaire
  • Montrer que le peuple se trompe de cible
  • Distance aristocratique de l’humaniste

4. Effet cathartique :

  • Permettre au lecteur de s’identifier puis de se libérer
  • Purger les tentations du pouvoir par leur exposition

5. Ironie tragique :

  • Montrer l’écart entre attentes et réalité
  • Pathétique de l’erreur humaine
  • Dimension quasi-shakespearienne

Cette ambivalence émotionnelle fait toute la richesse et la modernité du texte de La Boétie. Il refuse les émotions simples (haine pure ou pitié pure) pour proposer une lecture complexe, adulte, philosophique de la servitude volontaire. C’est un des aspects qui font du Discours un texte encore vivant aujourd’hui.


Question 9 : La structure en triptyque

Ce mouvement évoque trois formes de châtiment : lesquelles ? Classez-les selon leur gravité ou leur durée. Lequel semble être le plus redoutable aux yeux de La Boétie ?

Correction :

LES TROIS FORMES DE CHÂTIMENT

PREMIER CHÂTIMENT : La malédiction populaire quotidienne (lignes 9-15)

Nature :

  • Haine collective et universelle
  • Insultes, outrages, malédictions
  • Accusations injustes (pestes, famines)
  • Horreur viscérale (« plus que les bêtes sauvages »)

Qui l’exerce ? :

  • Le peuple dans son ensemble
  • « Les peuples, les nations, tout le monde […] jusqu’aux laboureurs »
  • Unanimité sociale

Temporalité :

  • Présent, quotidien
  • « toutes leurs prières, tous leurs vœux » = constant, répétitif
  • Pendant leur vie

Modalité :

  • Verbale, sociale
  • Atteinte à l’honneur et à la réputation sociale
  • Ostracisme et rejet

DEUXIÈME CHÂTIMENT : Le démembrement physique fantasmé (lignes 16-17)

Nature :

  • Violence physique extrême
  • Écartèlement, démembrement
  • Partage du corps entre les membres du peuple
  • Exécution collective

Qui l’exerce ? :

  • Le peuple en furie
  • Violence populaire directe
  • Justice sommaire, lynchage

Temporalité :

  • Potentielle, hypothétique
  • « même s’ils avaient » = conditionnel
  • Moment ponctuel (l’exécution)
  • Fin avec la mort

Modalité :

  • Physique, corporelle
  • La plus concrète et brutale
  • Mais aussi la plus irréaliste (conditionnelle)

TROISIÈME CHÂTIMENT : La damnation mémorielle éternelle (lignes 18-20)

Nature :

  • Destruction de la réputation posthume
  • Noircissement du nom par l’écrit
  • Traînement des os (métaphorique) par la postérité
  • Infamie perpétuelle

Qui l’exerce ? :

  • Les générations futures
  • Les écrivains, les historiens
  • « Ceux qui leur succèdent », « mille plumes », « mille livres »
  • Intellectuels et lettrés

Temporalité :

  • Post-mortem, éternelle
  • « après même qu’ils soient morts »
  • « jamais » = négation absolue
  • « la postérité » = toutes les générations à venir
  • Sans fin

Modalité :

  • Symbolique, mémorielle
  • Par l’écrit et la mémoire collective
  • La plus abstraite mais la plus durable

CLASSEMENT PAR GRAVITÉ

Critère 1 : DURÉE

  1. Éternelle : Damnation mémorielle (après la mort, pour toujours)
  2. Continue : Malédiction quotidienne (toute la vie)
  3. Ponctuelle : Démembrement (moment de l’exécution)

Classement : 3 > 1 > 2


Critère 2 : INTENSITÉ DE LA SOUFFRANCE
  1. Extrême : Démembrement (douleur physique maximale)
  2. Forte : Malédiction quotidienne (souffrance psychologique constante)
  3. Nulle ? : Damnation posthume (les morts ne souffrent plus)

Classement : 2 > 1 > 3

Mais : si on considère la souffrance psychologique ANTICIPÉE de son vivant :

  • Savoir qu’on sera maudit éternellement = angoisse existentielle majeure
  • Classement modifié : 3 > 1 > 2

Critère 3 : CERTITUDE DE RÉALISATION
  1. Certaine : Damnation mémorielle (présentée au présent de vérité générale)
  2. Probable : Malédiction quotidienne (déjà effective, décrite comme réelle)
  3. Hypothétique : Démembrement (conditionnelle, non réalisée)

Classement : 3 > 1 > 2


Critère 4 : INÉLUCTABILITÉ (impossible d’y échapper)
  1. Inéluctable : Damnation mémorielle (universelle, par l’écrit qui se diffuse partout)
  2. Difficile d’échapper : Malédiction quotidienne (mais possible de s’isoler, s’exiler)
  3. Évitable : Démembrement (protection armée, fuite, répression préventive)

Classement : 3 > 1 > 2


Critère 5 : PORTÉE SOCIALE
  1. Universelle : Damnation mémorielle (« mille livres », diffusion mondiale et temporelle)
  2. Large : Malédiction quotidienne (« tout le monde jusqu’aux laboureurs »)
  3. Limitée : Démembrement (ceux qui assistent à l’exécution)

Classement : 3 > 1 > 2


LEQUEL EST LE PLUS REDOUTABLE AUX YEUX DE LA BOÉTIE ?

INDICES TEXTUELS :

1. Ordre de présentation = gradation ascendante

La Boétie présente les châtiments dans un ordre croissant :

  • D’abord : la malédiction quotidienne
  • Puis : le démembrement (qui serait encore insuffisant)
  • Enfin : la damnation éternelle (présentée comme le châtiment ultime)

Structure rhétorique : crescendo vers le plus grave


2. Traitement grammatical différencié
  • Malédiction : présent itératif (réel, habituel)
  • Démembrement : conditionnel (irréel, hypothétique) + insuffisant
  • Damnation : présent de vérité générale (réel, certain, éternel)

Le présent de vérité générale valorise le 3e châtiment comme le plus crédible et le plus important.


3. Développement textuel disproportionné

Nombre de lignes consacrées :

  • Malédiction : ~6 lignes
  • Démembrement : ~2 lignes (et présenté comme insuffisant)
  • Damnation : ~3 lignes (mais condensées, denses, conclusives)

Le démembrement est rapidement évacué comme insuffisant. La damnation mémorielle clôt le mouvement = position de prestige.


4. Vocabulaire valorisant pour le 3e châtiment

« mille plumes », « mille livres » :

  • Insistance sur l’écrit
  • Multiplicité qui impressionne
  • L’arme de l’humaniste par excellence

« la postérité » :

  • Terme noble, presque sacré
  • Juge suprême et impartial
  • Tribunal de l’histoire

« encore après leur mort » :

  • Dépasse les limites de la vie
  • Dimension métaphysique, quasi-religieuse
  • Éternité de la punition

5. Auto-référence implicite

La Boétie écrit lui-même un de ces livres :

  • Le Discours participe à cette damnation mémorielle
  • Mise en abyme : le texte accomplit ce qu’il décrit
  • Auto-légitimation : l’écriture comme acte de justice

Si La Boétie consacre son énergie à écrire ce texte, c’est qu’il croit au pouvoir de l’écrit. Donc : pour lui, le châtiment par l’écrit est le plus efficace.


6. Valeurs humanistes

Pour un humaniste comme La Boétie :

  • Le livre = arme suprême
  • La mémoire = tribunal ultime
  • L’honneur et la réputation = valeurs cardinales
  • L’éternité du nom = obsession de l’homme de la Renaissance

Le pire châtiment pour un homme de cette époque et de cette classe :

  • Pas la mort physique (inéluctable de toute façon)
  • Mais la mort symbolique : être oublié ou, pire, maudit pour l’éternité